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L'article provient de Le Journal de Montréal
Opinions

La route cahoteuse vers la consécration

Jacques Villeneuve savourant le champagne de la victoire après son premier gain de 1997 à São Paulo au Brésil.
Jacques Villeneuve savourant le champagne de la victoire après son premier gain de 1997 à São Paulo au Brésil. Photo d'archives
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Photo portrait de Réjean Tremblay

Réjean Tremblay

2022-10-22T04:00:00Z
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Tous les journalistes présents à Jerez de la Frontera le 26 octobre n’oublieront jamais ce week-end extraordinaire. Je vais d’ailleurs y revenir demain.

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Mais si le 26 octobre 1997 est resté dans les mémoires des amateurs et les annales de la F1, c’est que la route vers l’affrontement final avait été extraordinairement cahoteuse. Les revirements et les coups d’éclat s’étaient succédé à un rythme d’enfer.

J’avais couvert la saison avec un ou deux confrères. Et tout au long de cette année pas comme les autres, la guerre entre Ferrari et Williams, et surtout entre Michael Schumacher et Jacques Villeneuve, a provoqué une tension qui a explosé dans un dépassement d’anthologie à Jerez.

Mais tout ça avait commencé à Interlagos. Pour moi en tous les cas.

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São Paulo à gauche

C’était mon premier voyage en Amérique du Sud. J’étais passionné par le Grand Prix surtout, mais aussi j’avais hâte de voir si c’était vrai que l’eau des toilettes tournait dans le sens contraire quand on tirait la chasse.

À l’aéroport, Torto m’avait dit de rouler pendant une cinquantaine de kilomètres vers le sud vers Murumbi.

« Tant que la ville est à ta gauche, t’es correct. »

Dans ce temps-là, il n’y avait pas de GPS. Les explications de Torto étaient mon sauvetage.

Mais Torto ne m’avait pas dit que la ville de 20 millions d’habitants s’étendait à l’époque sur 53 kilomètres.

Je commençais à paniquer quand finalement j’avais vu une affiche « Murumbi ». C’était là que je trouverais l’hôtel. Là que je quitterais pour le circuit niché tout juste derrière des favelas indescriptibles. Tu traversais (c’est encore pareil) des cambuses couvertes de panneaux de publicité de Pepsi en tôle, sans eau courante ni électricité, et tu arrivais chez les milliardaires de la F1. Dans l’enclos du luxe et du superflu.

La première fois, ça prenait un moment pour s’ajuster.

VILLENEUVE DANS SES CULOTTES

Jacques avait gagné au Brésil. J’étais allé décompresser à Buzios, le Saint-Tropez du Brésil que Brigitte Bardot avait rendu célèbre. La patronne de l’hôtel s’appelait Régine et on y avait passé une semaine idyllique. Pendant ce temps, Jacques Villeneuve était allé se réfugier à Bahia.

On s’était retrouvé en Argentine à Buenos Aires. Villeneuve avait encore gagné. Mais il avait ramené de Bahia un formidable cadeau. 

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Une diarrhée carabinée qui, pendant le Grand Prix, l’avait forcé à piloter... au nez ! Mais sent bon ou pue, Villeneuve avait gagné et avait pu se changer avant la conférence de presse.

À l’époque, l’Argentine et le Brésil essayaient d’aligner leur real et peso sur le dollar américain. Autrement dit, le vin coûtait 6 $ la bouteille et une ride en taxi 1,75 $. Fallait travailler fort pour revenir avec un compte de dépenses « honorable ».

Après ces deux victoires en Amérique du Sud, on pensait que Villeneuve et la Williams étaient partis pour la gloire.

Qu’on était loin du damier. Et qu’on était naïf.

LE GRAND PRIX DE MONTRÉAL

Le Grand Prix de Montréal s’annonçait extraordinaire. Même si les dirigeants de la FIA et de la F1 tentaient de casser le jeune Québécois qu’ils trouvaient trop grande gueule.

Ce Grand Prix accueillait même un chroniqueur sportif Bryan Miles qui allait terminer sa carrière comme directeur du Devoir. Et puis, la chicane était vive entre le gouvernement canadien et Bernie Ecclestone. Le tabac était le plus gros partenaire publicitaire de la Formule 1. L’Asie commençait à rivaliser économiquement avec l’Europe et le Canada et se foutait pas mal du tabac. Un peuple qui fume est un peuple qui meurt jeune. Un peuple qui meurt jeune ne coûte pas cher en pensions de vieillesse. Bernie avait déjà entrepris son chantage.

Villeneuve n’avait pas aidé à dissiper la mauvaise humeur. Il était rentré en plein dans le mur « Bienvenue au Québec » après la dernière chicane. Kaput au deuxième tour. Et puis, Olivier Panis, un autre pilote qu’on aimait, s’était cassé les deux jambes lors d’un accident.

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Un mauvais Grand Prix... et on commençait à s’inquiéter.

L’été s’était passé un peu brouillon. Villeneuve se fait planter en France, mais gagne en Grande-Bretagne. On se dit que la Williams-Renault va prendre son envol. Mais Ferrari et Schumacher, aidés par l’abominable Eddie Irvine, ne cèdent pas un pouce.

L’INTIMIDATION EN HONGRIE

Quand j’arrive à Budapest en Hongrie et que je me rends par la M7 chez Lajos, l’imprimeur, pour y trouver ma chambre, je suis pas mal inquiet.

Et j’avais raison de m’inquiéter. Sur ce terrain poussiéreux où les Bridgestone font des merveilles, Schumacher et Villeneuve sur Michelin occupent les deux premières positions au départ.

La surprise, c’est Damon Hill qui la cause. Sur une Arrow médiocre portant le numéro 1 puisqu’il est champion en titre, Hill se hisse au troisième rang. Et incroyablement, dépasse Schumacher dans les premiers tours avant de faire de même avec Villeneuve.

À deux tours de la fin, Hill file vers une victoire complètement improbable, mais qui prend des allures de résurrection. Tout le monde pousse pour lui puisque Hill a toujours été gentil et gentleman.

C’est là que sa transmission casse. Hill complète avec deux rapports de vitesses en moins et Villeneuve le dépasse comme un tigre en passant sur le gazon devant la tribune de presse.

Villeneuve gagne et Schumacher termine quatrième.

Je quittais le circuit avec Christian Tortora en jasant tranquillement. Mes textes avaient été expédiés à Montréal, Torto avait envoyé ses reportages à CKAC et on se disait que le rôti aux tomates de Téréza, la femme de Lajos, serait divin.

Une grosse berline, avec des gens de Ferrari à bord, a passé près de nous et dans un québécois aussi pur que menaçant, quelqu’un de nous a crié : « Vous avez besoin de faire attention à ce que vous dites pis écrivez. On vous écoute, on sait tout ce qui se dit à Montréal. Faites ben attention ».

Torto était assommé. Il n’arrêtait pas de répéter : « Mais c’est de l’intimidation. Ferrari a toujours intimidé tout le monde. C’est de l’intimidation !!! »

Bien plus tard, la voix québécoise a pris un visage. C’était un tout jeune Gino Rosato, grand ami de Patrice Brisebois à qui il parlait de courses toutes les semaines...

Gino devenu un des patrons chez Ferrari puis chez Lotus... 

Gino devenu un ami très cher qui m’a donné la seule entrevue accordée par Lawrence Stroll à Monaco lors de la première saison de Lance Stroll...

Restait le hold-up du Japon et après, le O.K Corral à Jerez...

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