La retraite après 42 ans de lutte contre le dopage
TVA Sports
Elle aura passé plus de 40 ans à lutter contre le dopage dans le monde du sport et c’est avec l’impression d’avoir tout donné pour faire bouger les choses que la Dre Christiane Ayotte a annoncé sa retraite , la semaine dernière.
Chimiste, chercheuse et professeure, la Dre Ayotte était à la tête du Laboratoire de contrôle de dopage de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), seul laboratoire au Canada accrédité par l’Agence mondiale antidopage, depuis plus de 30 ans. Au fil du temps, elle est devenue une sommité mondiale dans la lutte antidopage.
Et ce combat, il part de loin. Mais elle a toujours su qu’elle voulait mettre l’athlète au centre de ses priorités.
«Le travail scientifique, c’est : on a un échantillon d'urine, on a une méthode en place, on détecte les substances qui sont interdites et on rend un rapport. Mais moi, je voulais aller au-delà de ça», a-t-elle expliqué, mardi, en entrevue à «JiC».
«Parce que si j'étais pour être le bras agissant de la police du sport, il fallait que je sache où sont les bons, où sont les méchants là-dedans, a-t-elle poursuivi. Tout n'est pas blanc ou noir, mais il fallait que je sache que, moralement ou éthiquement, j'étais d'un côté qui n'était que de l'hypocrisie, comme il y avait au début des années 80, mais où vraiment, on améliorait les choses en mettant l'athlète au centre.»
S’attaquer aux «conduites dopantes»
La Dre Ayotte a toujours voulu que son travail transcende le monde strictement sportif pour avoir un impact sur la société en général. Elle s’imposait donc «un devoir de communication pour que les gens comprennent ce qui se passait».
«C'est nos fils, nos filles, les athlètes, a-t-elle rappelé. Qu'est-ce qui fait qu'ils peuvent avoir des conduites dopantes? Donc, aucune raison d'avoir une langue de bois dans ce temps-là, c'était volontaire que je voulais transmettre un message.»
Ce qui mène un athlète, ou même une personne qui s’entraîne pour des objectifs personnels, au dopage, c’est toute une culture de la chose, qui part de l’environnement familial en passant par les médias en tout genre et le monde du sport lui-même.
«Pensez à un athlète dont le corps est l'outil de réussite, ce sont des jeunes, donc la peur des effets secondaires qui pourraient se manifester dans quelques années, ce n'est pas un concept qui peut les atteindre, a-t-elle expliqué. Donc, ce sont des individus vulnérables et autour d'eux, car ils sont un pôle d'attraction, gravite un paquet de personnes qui ont un intérêt à faire de l'athlète quelque chose, qu'il partage les bénéfices avec eux.»
«Les entraîneurs qui sont de plus en plus connus et reconnus et qui ont plus d'argent quand leur écurie d'athlètes est faite d'athlètes performants, si ce sont d'anciens dopés, qu'est-ce qu'on espère?, a-t-elle questionné. Si on impose aux athlètes des standards qui sont seulement atteignables par la dope, qu'est-ce qu'on leur passe comme message? Il faut aussi nettoyer la façon de penser. Toujours dire aux athlètes "lui, il gagne, mais ce n'est pas normal, il doit y avoir quelque chose", ça crée un climat de suspicion. On salit tout, en fait.»
De l’éducation
Tout changement de culture s’opère notamment par une meilleure éducation. Une nécessité dans le cas actuel, selon elle.
«Tant que les jeunes dans nos écoles n'auront pas un petit soupçon d'éducation sur le bon usage des médicaments de base, parce qu'ils ne connaissent pas leur corps et ne savent pas ce que ça prend, on se bourre de médicaments pour un rhume, il y a des conduites dopantes dans les familles (...) si on nous persuade que manger, ce n'est pas sain...»
«Tout ça, ça crée une vulnérabilité chez le jeune qui après ça, va sur les réseaux sociaux et voit des images corporelles impossibles à atteindre, ce qui crée de l'angoisse et de la désillusion complète, a-t-elle illustré. Il se retourne, sur l'autre page et il y a un lien pour du ligandrol, de l'ostarine (...) il faudrait que quelqu'un investisse un peu de temps, fasse le ménage là-dedans mais surtout, éduque les jeunes, les informe.»
Une fierté, une tristesse
Au crépuscule de sa carrière, une grande fierté demeure pour la Dre Ayotte.
«Le laboratoire, a-t-elle nommé. Quand j'ai débuté la responsabilité du labo, on était cinq. Tranquillement pas vite, avec les années, s'est ajouté du monde. Des gens compétents qui savent que c'est important. Il n'y a pas de demi-mesure, de coin tourné rond, c'est un laboratoire qui a maintenant 30 ou 40 personnes, on a réussi pendant 20 ans à faire des tests pour les ligues professionnelles nord-américaines.»
«Jean-François Naud, qui prend le laboratoire, en était le directeur adjoint depuis les Jeux de Vancouver, a-t-elle ajouté. J'ai passé la direction du laboratoire et presque personne ne s'en est rendu compte. Mais moi, je m'en suis rendu compte, ça m'a enlevé un petit poids!»
Et pour cette fierté, il y a une «tristesse». Celle de voir que malgré tous les progrès faits dans la lutte contre le dopage, dont plusieurs sont attribuables à son travail, il y a encore énormément d’athlètes qui continuent à utiliser des substances illégales. La bataille ne cesse jamais.
Elle a notamment été marquée par le stratagème élaboré par les Russes pour déjouer les contrôles antidopage aux Jeux de Sotchi de 2014.
«C'est tout le dopage étatisé, caché par mon collègue, Grigory Mikhailovich Rodchenkov, a-t-elle rappelé. Ça n'a pas de bon sens. On a beau savoir que c'est la Russie, qu'il a été impliqué jusqu'au cou comme ça et je travaille là-dedans. Je collabore, je travaille à sortir tout ce qu'on peut comme preuves des disques durs du labo russe pour la Fédération internationale d'athlétisme et pour l'Agence mondiale antidopage.»
«Je travaille beaucoup pour expier ma naïveté, a-t-elle poursuivi. Mais je n'aurais jamais pensé ça. Ça a été une grosse tristesse. Donc oui, il existe encore du dopage éhonté.»
Son plus grand souhait, d’ailleurs, est qu’il y ait une plus grande cohésion entre les différents acteurs mondiaux de la lutte contre le dopage dans le sport.
«Quand l'Agence antidopage américaine tape sur l'Agence mondiale antidopage, c'est contre-productif, zéro, ne va pas là, a-t-elle illustré. L'Agence mondiale antidopage, c'est les gouvernements, la famille olympique, les athlètes, vous êtes assis autour de la même table, entendez-vous, pas de "bitchage"! Le manque de cohésion est la tristesse de l'affaire.»
Un repos bien mérité
Maintenant, c’est terminé. La Dre Ayotte, qui a tant donné, veut maintenant prendre soin d’elle.
«Ça doit faire 30 ans que je n'ai pas pris de vraies vacances», a-t-il avoué, ajoutant ensuite qu’elle «rêve de la page blanche».
«Depuis que j'ai 35 ans, je travaille comme une bonne fille, performance, sport, bonne chimiste et tout, a-t-elle affirmé. Là, qui je suis? Qu’est-ce que je veux faire des années qui me restent, comment prendre soin de moi et me retrouver au centre des priorités?»
«Mes enfants, j'ai une petite fille, j'aimerais ça être là pour eux, a-t-elle également mentionné. C'est comme ça qu'on devient de belles vieilles personnes. En prenant soin de nous.»
Cela dit, elle ne rejette pas l’idée d’écrire ses mémoires. Parce qu’elle a toute une histoire à raconter.
«S'il y a quelque chose qui me trotte dans la tête, c'est ça, a-t-elle admis. Comment j'ai vécu ça. Je n'ai pas de but politique là-dedans, c'est vraiment juste ce que j'ai observé, qu'est-ce qu'on pourrait faire pour avoir une meilleure cohésion. Je ne dis pas non.»
Voyez l’entretien complet en vidéo principale.