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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

La purge des gais et lesbiennes a duré 40 ans au Canada

Une des 9000 victimes raconte son renvoi de l’Armée canadienne parce qu’elle était lesbienne

Martine Roy (au centre) lorsqu’elle était soldate pour l’Armée canadienne.
Martine Roy (au centre) lorsqu’elle était soldate pour l’Armée canadienne. Martine Roy
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Photo portrait de Mathieu-Robert Sauvé

Mathieu-Robert Sauvé

2025-02-01T00:00:00Z
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Pour des milliers de gais et lesbiennes du Canada, les politiques d’exclusion des minorités sexuelles dans la fonction publique qui déferlent aux États-Unis rappellent de très mauvais souvenirs, car ils ont été eux-mêmes la cible d’une purge qui a duré plus de 40 ans.

«J’étais dans l’Armée canadienne depuis moins de deux ans quand j’ai eu la visite de deux agents qui m’ont interrogée pendant des heures sur ma vie sexuelle et mes fréquentations. À la fin du processus j’ai été renvoyée», explique Martine Roy, ex-militaire (de 1983 à 1984) aujourd’hui présidente du Fonds Purge LGBT et directrice régionale des mesures d’inclusion de la Banque TD pour le Québec et l’est du Canada.

Martine Roy, présidente du Fonds Purge LGBT.
Martine Roy, présidente du Fonds Purge LGBT. Martine Roy

Comme elle, environ 9000 personnes ont été renvoyées de l’Armée, de la Gendarmerie royale canadienne et de la fonction publique fédérale sous prétexte qu’elles étaient homosexuelles en vertu d’un article de loi qui les ciblait comme des «psychopathes sexuels criminels» et «délinquants sexuels dangereux».

Le mal est fait

Datant de la guerre froide, cet article a été abrogé par le gouvernement de Brian Mulroney en 1992, mais il avait déjà fait beaucoup de mal.

«Des gens se sont suicidés à cause de cette politique. D’autres sont tombés dans l’alcool et la drogue. Moi-même, j’ai pris des années à m’en remettre à coups de thérapies. Je me sentais terriblement honteuse ç», dit la Montréalaise qui a grandi à Cartierville.

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Mme Roy a pris la tête d’un mouvement qui a mené à des excuses officielles du gouvernement fédéral en 2017 et à un règlement hors cour qui a donné 145 M$ aux victimes dans le cadre d’un recours collectif.

Un monument aux victimes sera inauguré en 2026 et une exposition sur ces pages sombres de l’histoire sera inaugurée cette semaine à Winnipeg.

Lettre du chef d’état-major de la Défense nationale, Gérard Charles Édouard Thériault, maintenant la décision de l’Armée canadienne face au renvoi de Mme Roy.
Lettre du chef d’état-major de la Défense nationale, Gérard Charles Édouard Thériault, maintenant la décision de l’Armée canadienne face au renvoi de Mme Roy. Martine Roy

Martine Roy
Martine Roy

Digne du KGB

Inspirées de la Russie soviétique, les techniques d’interrogatoires étaient très agressives. Assis sur une chaise de métal avec une lumière crue dans le visage, les suspects devaient répondre à des agents qui disposaient d’informations personnelles obtenues grâce à la filature.

«Pendant des heures, ils m’ont questionnée sur ce qu’ils considéraient comme une déviance. Ils voulaient savoir comment je pratiquais l’acte sexuel. Ils cherchaient aussi des noms», relate Mme Roy, encore émotive.

Au terme de multiples démarches, un avocat a pris la cause en main et l’a portée jusqu’au gouvernement canadien, qui a reconnu ses torts.

Quand on demande à Mme Roy ce qu’elle souhaite obtenir pour l’avenir, elle répond sans hésiter: «Ne pas revenir en arrière».

Elle s’inquiète de ce qui se passe chez nos voisins du sud. «Ils retournent dans les années 1950. La politique dans la fonction publique ressemble à la purge que nous avons dénoncée au Canada», lance-t-elle.

L’exposition «Amours cachées» présente la purge LGBT qui a eu lieu au Canada.
L’exposition «Amours cachées» présente la purge LGBT qui a eu lieu au Canada. Musée des droits humains

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«Tous les espions sont gais, et tous les gais sont espions»

L’affaire Guy Burgess, du nom d’un homosexuel britannique recruté comme espion pour la Russie, marque les esprits en pleine guerre froide. À partir de ce moment-là, pour les services secrets, «tous les gais sont des espions et tous les espions sont des gais», lance l’avocat Douglas Elliott dans un documentaire réalisé par Orlando Arriagada en 2023 sur la purge de la communauté LGBT au Canada.

Selon ce juriste qui a porté avec succès le recours collectif devant les tribunaux, tant les États-Unis que le Canada ont mené une traque dans les corps militaires et la fonction publique afin de les expurger des homosexuels hommes et femmes.

«Pour eux, nous étions des éléments perturbateurs qui risquaient de contaminer les gens. Il fallait nous guérir ou nous déloger», résume Martine Roy.

Guy Burgess a été soupçonné d’espionnage pour la Russie.
Guy Burgess a été soupçonné d’espionnage pour la Russie. AFP

L’article de loi qui fait de la «sodomie» un crime sera abrogé par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, qui estime que l’État n’a pas sa place dans la chambre à coucher.

Mais même après le retrait de cette loi, la purge continue de façon plus ou moins transparente.

Interrogé pendant plus de 36 heures par des agents du renseignement, un homme, John Walkins, succombera d’une crise cardiaque. Un événement que la GRC fera passer pour un accident.

Ce genre de révélations sera permis par la mise au jour de 35 000 pièces d’archives sorties des bibliothèques secrètes de la GRC.

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