La propriétaire de Herron dépassée par les événements
Samantha Chowieri s’est exprimée publiquement pour la première fois aux audiences publiques de la coroner


Hugo Duchaine
La propriétaire du CHSLD privé Herron a reconnu avoir été complètement dépassée par les événements dès qu’un premier cas de COVID-19 a été confirmé dans son centre à la fin mars 2020.
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Propriétaire du CHSLD Herron
«En perspective, est-ce que je pense qu’on aurait pu faire plus? Je ne sais pas, a dit Samantha Chowieri, avant d’éclater en sanglots devant la coroner Géhane Kamel. Je m’excuse aux familles qui doivent entendre ça.»
Le 27 mars 2020, le CHSLD a été avisé par la famille d’un résident que l’aîné avait reçu un test de dépistage positif à la COVID-19. La situation s’est ensuite rapidement dégradée, selon son témoignage livré hier aux audiences publiques sur les décès survenus au Herron.
Déjà, l’équipement de protection était rare et le CHSLD avait recours à une agence, car il manquait de personnel. Dès la découverte d’un premier cas, elle commence à perdre du personnel, alors que même son directeur général tombe malade.
Dès le 28 mars, Mme Chowieri fait appel au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal pour combler ses quarts de travail. Mais, à ce moment, on lui répond que les renforts prendront plusieurs jours à venir. Même servir les repas est alors difficile, car le personnel de la cuisine a peur de se rendre dans les chambres, a-t-elle raconté.
Ce soir-là, elle quitte le CHSLD avec les besoins comblés «de manière minimale et suffisante». Mais dès le matin suivant, elle apprend que «ça va mal».
Dans la nuit, plusieurs employés auraient éprouvé des symptômes et seraient partis. «J’ai encore de la misère à comprendre ce qui s’est passé durant cette nuit», a-t-elle admis.
«Ça ne vous a pas tenté de la chercher cette information?» a répondu Mme Kamel, étonnée que des employés aient abandonné des patients vulnérables.
«C’était le chaos par le temps que j’arrive [sur place]», a expliqué la propriétaire.
Comme évoqué précédemment, des employés qui appelaient le 8-1-1 se seraient fait dire de s’isoler dès un contact, même bref, avec un cas positif.
Frapper des murs
«Je frappais des murs partout», a-t-elle lancé, soulignant avoir fait une centaine d'appels pour trouver des employés.
Samantha Chowieri a reconnu qu’elle était «soulagée» à l’arrivée du CIUSSS le 29 mars. «Je n’étais clairement pas capable d’y arriver par moi-même», a-t-elle soufflé.
Mais rapidement, la relation est devenue acrimonieuse. Ce même soir, Brigitte Auger du CIUSSS, responsable service CHSLD-Soutien à domicile, aurait notamment accusé Mme Chowieri de maltraitance.
La propriétaire a souligné qu’elle a toujours cherché à collaborer avec le CIUSSS, mais que ce n’était pas réciproque. Elle a continué à s’affairer à trouver du personnel et à faire des horaires après le 29 mars, même si des responsables du CIUSSS lui avaient dit avoir pris en charge les ressources humaines, car elle n’avait pas l’impression que c’était fait.

Elle a dit n’avoir jamais été invitée aux rencontres de crise du CIUSSS pour résorber la situation.
Plus tôt dans la journée, l’ex-directeur général du CHSLD Herron, Andrei Stanica, avait été encore plus critique de l’intervention du CIUSSS lors de son témoignage. Selon lui, il s’agissait d’une intervention «sans structure» et d’une tutelle menée «par des gens qui ne savent pas comment un CHSLD fonctionne».
Non qualifiés
Ce dernier a néanmoins dû se défendre d’avoir fait appel à des travailleurs d’une agence de placement sans vérifier leurs qualifications ou leurs antécédents judiciaires. Il a dit avoir tenu pour acquis que si l’agence les embauchait, elle avait dû le faire.
Géhane Kamel a évoqué que le CHSLD Herron avait pu être touché plus durement en raison de sa faible structure à l’interne, soulignant que la gestion reposait essentiellement sur les épaules de trois personnes.
«Ça n’excuse pas le manque de préparation», a-t-elle néanmoins ajouté.
En début de témoignage, Mme Chowieri a relaté que son entreprise familiale, le Groupe Katasa, était propriétaire de six résidences pour personnes âgées (RPA), mais d’un seul CHSLD privé.
«Fromage suisse, plein de trous»
Ne mâchant pas ses mots, la fille d’un résident décédé à Herron a livré un premier témoignage aux audiences publiques, critiquant durement le processus.
Moira Davis, la fille de Stanley E. Pinnell, a comparé à du «fromage suisse, plein de trous» les audiences qui se déroulent depuis trois semaines. Elle déplore que des questions «difficiles» n’aient pas été posées, que les gestionnaires du CIUSSS aient témoigné en premier et que les incohérences évoquées depuis leur passage ne soient peut-être pas éclaircies.
Elle estime qu’une vaste enquête publique est nécessaire et que les CHSLD ne devraient plus être des entreprises privées.
Elle a aussi évoqué le souhait que le Collège des médecins se penche sur les agissements des trois médecins de famille du CHSLD Herron, qui ont fait du télétravail. Selon elle, son père était négligé bien avant la pandémie, perdant du poids pendant des mois, malgré les visites hebdomadaires de sa médecin.
Le témoignage de Samantha Chowieri se poursuit jeudi, au palais de justice de Longueuil.