La poubelle du Québec: menaces, insultes et attaques physiques envers des inspecteurs
Ils craignent pour leur sécurité et doivent faire appel à la police sur des sites de décharges illégales en Montérégie
Sarah-Maude Lefebvre et Annabelle Blais
Une partie de la Montérégie est devenue un vrai dépotoir à déchets de construction à ciel ouvert. Des centaines de sites ont fait l’objet de dépôts sauvages. Des élus, fonctionnaires et inspecteurs en environnement dénoncent un climat de tension et de harcèlement. Des citoyens participent même à un stratagème de pots-de-vin payés par des entrepreneurs, a découvert notre Bureau d’enquête.
Des inspecteurs de petites municipalités et du ministère de l’Environnement craignent pour leur sécurité et doivent parfois faire appel à la police lorsqu’ils interviennent sur des sites de déversements en Montérégie, victimes de menaces de «claques sur la gueule», d'insultes et même d'attaques physiques.
Luc Pilon, inspecteur municipal d’Ormstown, estime que 60 à 70% des inspections qu’il effectue sur le terrain se déroulent mal.
«Il faut approcher les gens avec des gants blancs pour éviter que ça ne dégénère. Et quand ça dégénère, il faut garder son calme, sinon ça aggrave la situation», souligne M. Pilon.
«On me crie après, on me pousse, ou on m’interdit de passer», relate-t-il.
M. Pilon doit être parfois accompagné de la police pour effectuer des inspections en toute sécurité.
Son travail, en tant qu’inspecteur municipal, est de s’assurer du respect de la réglementation en matière d’urbanisme et d’environnement. Il peut notamment sévir contre les remblais illégaux et les dépôts sauvages.
Travailler sous la menace
Ormstown, comme d’autres villes de la région du bassin versant de la rivière Châteauguay, reçoit régulièrement des déversements illégaux de terre contaminée ou de déchets de construction .
Des citoyens acceptent de fermer les yeux sur ces dépôts en échange d’une compensation financière malgré les règlements municipaux et les risques que cela peut poser pour l’environnement.
«Nos employés sont souvent la cible de propos injurieux et de menaces. Ça montre à quel point les gens ne sont pas intéressés à respecter la réglementation environnementale. Ils vont le faire seulement si on les force», affirme la mairesse d’Ormstown, Christine McAleer.

Dans la municipalité voisine de Franklin, l’urbaniste et inspecteur Jacques Boudreau affirme «faire attention» pour ne pas provoquer la colère des citoyens lors de ses inspections. «Je suis poli. [...] J’ai vu des gens ici se faire promettre une claque à la gueule, puis moi, j’en veux pas.»
Marcher sur des œufs
Même les inspecteurs du ministère de l’Environnement marchent sur des œufs dans ce secteur de la Montérégie.
Le ministère nous a d’ailleurs dit être «au fait» des «manifestations de violence» que subit son personnel et affirme s’être doté d’un guide de procédures pour aider ses inspecteurs à faire face à ces situations.

L’un d’entre eux, qui y a travaillé pendant quelques années, a accepté de nous raconter ce qu’il a constaté sur le terrain, sous couvert d’anonymat.
«C’est un coin particulier», affirme-t-il.
«J’ai moi-même repéré plusieurs sites ressemblant à des centres de tri improvisés, avec des propriétaires qui nous glissent entre les doigts, qu’on n’arrive pas à contacter ou qui sont excessivement agressifs quand on vient leur parler», relate l'inspecteur.
«Ils nous rentrent quasiment dedans avec leur pick-up parce qu’on ne les a pas appelés avant de venir inspecter.»
«Je n’ai jamais eu peur. J’ai quand même la chance d’être un grand gars. Mais d’autres inspecteurs ont craint pour leur sécurité. Il y en a qui sont revenus bredouilles d’inspections parce qu’ils n’ont pas pu accéder au terrain tout court», dit-il.
— Avec la collaboration de Charles Mathieu