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L'article provient de TVA Nouvelles

La poubelle du Québec: briques, bouts de tuyaux, béton et plastique en pleine nature

Des décharges sauvages de déchets de construction en Montérégie visitées par notre Bureau d’enquête

Notre Bureau d’enquête a constaté la présence de déchets sur des sites identifiés par un groupe de chercheurs – briques, bouts de tuyaux, béton, plastique –, dont certains se trouvaient en pleine nature ou à proximité de champs agricoles.
Notre Bureau d’enquête a constaté la présence de déchets sur des sites identifiés par un groupe de chercheurs – briques, bouts de tuyaux, béton, plastique –, dont certains se trouvaient en pleine nature ou à proximité de champs agricoles. Photo Jdm/Annabelle Blais et Sarah-Maude Lefebvre
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Sarah-Maude Lefebvre et Annabelle Blais

2025-05-25T04:00:00Z
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Une partie de la Montérégie est devenue un vrai dépotoir à déchets de construction à ciel ouvert. Des centaines de sites ont fait l’objet de dépôts sauvages. Des élus, fonctionnaires et inspecteurs en environnement dénoncent un climat de tension et de harcèlement. Des citoyens participent même à un stratagème de pots-de-vin payés par des entrepreneurs, a découvert notre Bureau d’enquête.


Il n’a pas fallu chercher très loin à Franklin et ses environs pour trouver ce qui semble être des décharges sauvages de déchets de construction.

Notre Bureau d’enquête a bel et bien constaté la présence de déchets sur des sites identifiés par un groupe de chercheurs – briques, bouts de tuyaux, béton, plastique –, dont certains se trouvaient en pleine nature ou à proximité de champs agricoles.

Le Leadership for the Ecozoic, qui réunit des chercheurs des universités McGill et du Vermont, a identifié par imagerie satellite 674 décharges potentielles de déchets de construction , dont 284 à haut risque, dans le bassin versant de la rivière Châteauguay. Nous en avons visité cinq.

En analysant des images satellites, les chercheurs ont documenté l’évolution des dépôts de matériaux de construction. Ici, dans la MRC de Roussillon, on voit un terrain vierge en 2018, puis la présence de matériaux de construction en 2022, et enfin la nature qui tente de reprendre ses droits l’année suivante (image ci-dessous). Images fournies par Leadership for the Ecozoic, source Google Earth Pro
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Image fournie par Leadership for the Ecozoic, source Google Earth Pro
Image fournie par Leadership for the Ecozoic, source Google Earth Pro

L’un des terrains visités, en zone agricole, appartient à une famille de Longueuil, un autre à une entreprise d’excavation située à une quarantaine de kilomètres du village.

Ces propriétaires n’ont pas donné suite à nos demandes d’entrevue. Nous avons choisi de ne pas les identifier, car nos démarches auprès d’eux et auprès des autorités ne nous ont pas permis de déterminer qui était à l’origine des déchets que nous avons vus.

Seul un agriculteur, qui a déjà eu des démêlés avec le ministère de l’Environnement, a accepté de nous parler, à condition que l’on taise son identité pour ne pas nuire à son entreprise.

«Je n’ai pas de place où les envoyer»

Il y a près de 10 ans, il a reçu la visite d’un inspecteur du ministère de l’Environnement. Depuis une cinquantaine d’années, un secteur de sa terre servait de dépotoir à déchets en tout genre: pneus, véhicules, gallons de peinture, canettes d’aérosol, boîtes de carton, briques et béton. La majorité des déchets provenaient de son entreprise, mais il affirme qu’il était aussi victime de dépôts clandestins effectués par des inconnus la nuit, à son insu.

Un avis de non-conformité l’a forcé à tout nettoyer. «C’était un méchant tas, ça m’a pris 30 jours, à raison de 10 h par jour, et ça a coûté des centaines de milliers de dollars, affirme ce dernier. Juste en métal qui traînait dans le tas, je suis allé chercher 40 000$.»

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Photo prise par un inspecteur du ministère de l'Environnement lors de sa visite du terrain contaminé d'un agriculteur de la Montérégie.
Photo prise par un inspecteur du ministère de l'Environnement lors de sa visite du terrain contaminé d'un agriculteur de la Montérégie. Photo fournie par le ministère de l'Environnement

Encore aujourd’hui, des pneus sont encore empilés et bien visibles sur la terre de cet agriculteur.

«Je n’ai pas de place où les envoyer. S’il y a un endroit qui les accepte, je les envoie demain matin, les sites d’enfouissement de pneus ne veulent plus les prendre. J’avais demandé au gouvernement s’il connaissait un endroit et il m’avait dit non», dit-il.

Des bidons d’huile en pleine route

Certains délinquants ne se donnent même pas la peine de jeter leurs déchets à l’abri des regards. À Saint-Isidore-de-Laprairie, on retrouve des dépôts sauvages même en bordure de route.

En septembre dernier, des chaudières de cinq gallons d’une matière qui s’apparente à de l’huile hydraulique ont été retrouvées sur la route. Le liquide s'était répandu partout sur la chaussée et en bordure de route, non loin de terres agricoles. Des résidents ont d’abord cru qu’il s’agissait peut-être d’un accident.

En septembre dernier, des chaudières de cinq gallons d’une matière qui s’apparente à de l’huile hydraulique ont été retrouvées sur la route à Saint-Isidore-de-Laprairie.
En septembre dernier, des chaudières de cinq gallons d’une matière qui s’apparente à de l’huile hydraulique ont été retrouvées sur la route à Saint-Isidore-de-Laprairie. PHOTO FOURNIE PAR la Ville de St-Isidore

«Malheureusement, ce n’était pas notre premier dépôt sauvage de la sorte, affirme le directeur général de la municipalité, Sébastien Carignan-Cervera. Cependant, les deux fois précédentes, la personne avait eu la “délicatesse” de déposer les chaudières en bordure des rangs, ce qui nous avait permis de les récupérer et d’en disposer sans qu’il n’y ait de déversement.»

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«D’aussi loin que je me souvienne, ça a toujours été une problématique, affirme M. Carignan-Cervera. On essaie d’ouvrir de plus en plus l’écocentre [...] et plus on y donne accès, plus ça diminue le nombre de dépôts sauvages, mais il y en a quand même.»

La municipalité voisine de Saint-Rémi est aux prises avec la même situation. «Il y a des dépôts sauvages environ une fois par deux mois», explique le greffier Patrice de Repentigny.

Les déversements illégaux au Québec

Au Québec, la terre contaminée et les déchets de construction qui ne sont pas stockés temporairement doivent obligatoirement être disposés dans des sites autorisés et prévus à cet effet (dépotoirs, écocentres, centres de traitement des sols contaminés, etc.).


Il existe un coût pour l’élimination de certains déchets. Par exemple, le propriétaire de sols contaminés doit payer au ministère de l’Environnement une redevance de 5$ par tonne métrique pour s’en débarrasser dans un centre de traitement, ou de 10,67$ par tonne métrique dans un lieu d’enfouissement.


Pour éviter ces frais, certains délinquants préfèrent s’en débarrasser plus ou moins discrètement dans la nature. Les contrevenants risquent toutefois des amendes qui peuvent varier de 500$ à 6 M$, selon la Loi sur la qualité de l’environnement.


En plus de défigurer le paysage, les dépotoirs sauvages menacent les nappes phréatiques. La Ville de Mercier a perdu sa principale source d’eau potable à la suite de la contamination de ses eaux souterraines en 1968. Une entreprise de pétrochimie avait été autorisée à déverser des déchets toxiques dans une ancienne sablière, ce qui avait mené à la contamination de la nappe phréatique. Depuis, c’est la Ville voisine de Châteauguay qui doit approvisionner Mercier en eau potable.


— Avec la collaboration de Charles Mathieu

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