La police de Terrebonne devra verser 15 000$ à un homme noir mis à l’amende sans fondement et former ses patrouilleurs contre le profilage racial
Un homme noir a été jugé suspect parce qu’il a soutenu le regard des policiers
Zoé Arcand
La police de Terrebonne devra non seulement verser 15 000$ à un homme noir mis à l’amende sans fondement, mais aussi mieux former ses patrouilleurs contre le profilage racial.
«Si [Ted] Michel avait été blanc, les Policiers auraient continué leur chemin sans lui porter quelque attention que ce soit», a conclu le Tribunal des droits de la personne au début du mois.
Ted Michel, 42 ans, a été intercepté injustement par des policiers du Service de police de la Ville de Terrebonne (SPVT) en décembre 2020.
Il a soutenu leur regard
Ils effectuaient, ce jour-là, une opération lors de laquelle ils vérifiaient le port de la ceinture de sécurité et l’usage illicite du cellulaire au volant.
Les patrouilleurs avaient croisé M. Michel, et rapidement avaient jugé qu’il était «suspect». Ils l’ont intercepté même s’il n’était pas sur son téléphone et qu’il était attaché. Il conduisait toutefois une voiture appartenant à sa conjointe et a fait l’erreur de soutenir le regard des hommes en uniforme, lit-on dans le jugement.
«Objectivement, ils n’ont alors aucun motif de soupçonner monsieur Michel de quoi que ce soit», a tranché la juge Johanne Gagnon. Cela n’a pas empêché les policiers de lui donner des constats d’infraction totalisant 1002$ sous prétexte qu’il n’avait pas remis les documents demandés et ne collaborait pas.
Pourtant, il a remis ses papiers «moins de vingt minutes» après que la vérification de sa plaque d’immatriculation eut été effectuée, a noté la juge.
Les policiers ont tenté de convaincre le Tribunal qu’ils avaient un motif valable pour remettre ces amendes, mais les explications données étaient «dépourvues de toute logique», «invraisemblables» et «incompréhensibles», a martelé la magistrate.
Elle a indiqué être convaincue «que n’eût été la couleur de la peau de monsieur Michel, les Policiers n’auraient pas agi comme ils l’ont fait et que la remise des constats ne servait à nulle autre fin qu’à justifier a posteriori leur comportement et à le camoufler».
La juge Gagnon a pris soin de souligner que, bien que certains stéréotypes à l’égard des personnes racisées puissent être conscients, «le profilage racial est généralement l’expression d’un biais sociétal inconscient».
Formation obligatoire
La juge a ainsi ordonné au SPVT de donner une formation assurée par un expert en profilage racial.
La Ville de Terrebonne et son service de police devront aussi recueillir et publier systématiquement les données anonymisées sur l’appartenance raciale «perçue ou présumée» des personnes interceptées par ses policiers dans le but de déceler et de mesurer les manifestations de profilage ou de discrimination systémique.
Le corps de police devra remettre, solidairement avec les agents Christopher Le Brasseur et Félix Freire, 12 000$ en dommages et intérêts à M. Michel.
Ces policiers devront, respectivement, verser 2000$ et 1000$ pour dédommager l’homme de la Rive-Nord.
La police de Terrebonne n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.
Le temps de «passer à l’action»
Il est urgent d’agir concrètement contre le profilage racial plutôt que de continuer à en parler et à multiplier les formations, croient des experts.
«On est en 2025, il n’y a pas un policier au Québec qui n’a pas entendu parler du profilage racial et du fait que c’est inacceptable aujourd’hui», a lancé André Gélinas, un policier retraité de la section du renseignement du Service de police de la Ville de Montréal.

Il encourage d’ailleurs ceux qui se sentent lésés à porter plainte à la Commission de la déontologie policière. Ainsi, les policiers qui discriminent les citoyens en raison de leurs origines ethniques «en paient le prix».
L’expert en criminologie Jean-Claude Bernheim croit également que le temps des discours entourant le profilage racial doit cesser.

«Là ce qu’il faut c’est passer à l’action, revendique-t-il. Il faut des sanctions [...] et par rapport à l’inertie d’un corps de police ou de l’État québécois, il devrait y avoir des gens imputables».
Dans le cas du dossier concernant Ted Michel et la police de Terrebonne, il va même jusqu’à avancer que le Directeur des poursuites criminelles et pénales «devrait envisager de poursuivre les policiers contrevenants» parce que «forger un faux dans le cadre d’un processus judiciaire est un crime».
M. Bernheim signale que «ce n’est pas un problème récent ou unique au Québec».
M. Gélinas soulève que les cas de profilage racial ne représentent qu’une «infime minorité» des interventions policières.
Collecte de données
Les deux experts sont sceptiques face à la décision du Tribunal d’ordonner que des données soient recueillies sur l’origine ethnique «perçue ou présumée» des individus interceptés.
«Ça ne me semble pas nécessairement productif parce que l’on demande aux agents de se prononcer et de décider de l’origine des personnes créant ainsi un biais», insiste M. Bernheim.
«La perception de l’origine ethnique ça peut être très vague», ajoute M. Gélinas, qui craint qu’une telle mesure ne mine la sécurité publique et qu’on ne «balance des fonds publics dans le vide».
Le Tribunal indique avoir pris cette décision «afin de pouvoir prendre la mesure du profilage racial et de pouvoir combattre ce phénomène discriminatoire insidieux.»
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