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L'article provient de Le Journal de Montréal
Opinions

La piètre qualité du français écrit: lorsque la complexité rebute

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Amanda Fakihi, M.Sc science politique, Professionnelle des affaires publiques et présidente de Connexion internationale de Montréal

2022-10-27T16:00:00Z
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La déliquescence de l’escriture françoise continue à faire couler beaucoup d’encre au Québec. Les constats font état d’une dégradation marquée des résultats de nos aspirants enseignants qui peinent à réussir le fameux Test de certification en français écrit pour l’enseignement (TECFÉE), une condition requise pour l’obtention du brevet d’enseignement.  

On raconte que ce test déterminant générerait beaucoup d’anxiété chez les étudiants, qu’une réforme est nécessaire afin de le simplifier. Mais au fait, qu’est-ce qui pose réellement problème? Les méthodes pédagogiques seraient-elles lacunaires? Ou bien est-ce notre langue, intrinsèquement complexe, qui nous donne des céphalées insupportables? Une réflexion profonde sur les racines du mal s’impose.  

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Ce que nous savons

Le TECFÉE se scinde en deux parties : l’une portant sur la rédaction d’un texte de 350 mots (alors que l’épreuve unique de français de la cinquième secondaire exige 500 mots...) et l’autre axée sur le code linguistique qui regroupe 60 questions à choix multiple sur l’orthographe lexicale, l’orthographe grammaticale, la morphologie, la syntaxe, la ponctuation et le vocabulaire. À noter que le seuil de réussite est fixé à 70 % et que le nombre de passations permis pour obtenir son brevet d’enseignement n’est ni de deux, ni de trois, mais est bien illimité. Des voix s’élèvent, et ce depuis plusieurs années, appelant à une nouvelle mouture du test pour le rendre plus digeste.  

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Un enjeu multidimensionnel

Une question se pose d’emblée. Qu’est-ce qui explique ces disparités dans les taux de réussite entre les différentes universités? À l’Université de Montréal, nous avons un taux de réussite de 74 %, représentant une hausse de 13 % par rapport à 2018, alors qu’à l’Université du Québec à Rimouski, le taux de réussite est fixé à 21 %, soit une baisse de 21 % par rapport à 2018.

Le corps professoral de l’une accompagnerait-il plus adéquatement que l’autre ses étudiants dans l’obtention de résultats satisfaisants? Les méthodes pédagogiques de l’Université du Québec à Rimouski laissent-elles à désirer?  

Le TECFÉE, on l’aura compris, est en quelque sorte un test de culture générale. Il s’agit donc d’un test de mémoire. Il faut mémoriser des particularités des différents participes passés, connaître les multitudes exceptions un peu tordues de notre langue, telles que l’accord des adjectifs de couleurs, pour ne nommer que ceux-ci. La difficulté reposerait-elle plutôt dans l’encodage, le stockage et la récupération dans le processus de mémorisation des subtilités de notre langue? Nos futurs enseignants seraient-ils dépourvus de techniques de mémorisation (pourtant ces techniques sont bien répandues et facilement accessibles dans le web)? La charge cognitive serait-elle donc trop lourde pour eux?   

Complexité

Abordons alors la question de la complexité. Ce qui est complexe est souvent perçu comme rédhibitoire. Un certain défaitisme se dresse face à la complexité, voire à l’adversité, alors qu’elle devrait être plutôt envisagée comme une opportunité de persévérer, de grandir par le déploiement d’efforts soutenus.  

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On baisse les bras, on baisse les exigences. La voie de la facilité serait donc la voie à emprunter. On pense même à réformer l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire « avoir » (PPA), une notion qui donnerait du fil à retordre à certains. Ainsi, fini l’injonction d’accorder le PPA en genre et nombre avec le complément direct placé devant le verbe ou suivi d’un verbe à l’infinitif. Il deviendrait invariable. « La tomate que j’ai cuite » ne serait plus « cuite », mais bien « cuit ». Se poser les questions « Qui ? » ou « Quoi ? » après le verbe relèverait d’une tâche fastidieuse.  

Examinons quelques données à cet effet. Dans une étude réalisée par Leroy et Leroy (1995) intitulée La fréquence d’emploi des règles du participe passé citée par le didacticien Mario Désilets dans l’essai Le participe passé : hier, aujourd’hui et demain, basée sur un corpus volumineux de textes divers comprenant plus de 16 000 formes verbales, dont 3414 participes passés, on apprend que les participes passés ne constituent que 22 % des formes verbales, et que 92 % de ces participes passés s’accordent «facilement», à savoir avec le sujet ou en demeurant invariable. Les PPA s’accordant avec le complément direct placé devant le verbe ne représentent que 7 % des 22 %, ne constituant ainsi qu’1,5 % des occurrences.  

Une telle réformette n’a certainement rien d’une panacée purgative. L’urgence réside ailleurs.  

Apprendre à lire, écrire et comprendre des textes complexes, voilà un grand défi de taille devant lequel le Québec se retrouve perclus. Selon la Fondation pour l’alphabétisation du Québec, 19 % des Québécois sont au premier niveau de l’analphabétisme et 34,3 % sont des analphabètes fonctionnels en raison de leurs grandes difficultés à lire et à comprendre des textes. Nous avons donc en notre sein 53 % de Québécois en situation d’analphabétisme. C’est énorme.  

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La langue, un arbre en perpétuelle croissance

Notre langue est complexe, on le sait bien. Notre système d’écriture est essentiellement graphique, et non phonologique (au sens où on n’écrit pas au son). Avec seulement 26 lettres héritées principalement du latin classique, il nous incombe de transcrire 36 sons, dont le codage comprend des centaines de possibilités. Si elle aussi complexe, c’est parce qu’elle se voulait initialement élitiste, dans le but avoué de distinguer la masse ignare des grands esprits. Dans son tout premier Dictionnaire datant de 1694, l’Académie française tenait mordicus au maintien de l’orthographe ancienne « qui distingue les gens de lettres des ignorants et des simples femmes ». La langue est donc un marqueur de différenciation sociale, un objet politique, voire un instrument de domination.   

Mais elle est également vivante et évolutive. Et sa simplification n’équivaut pas nécessairement à son appauvrissement. 

Or, il serait judicieux de se poser la question suivante : ne sommes-nous pas trop tentés de recourir systématiquement à sa simplification, au risque d'éroder l'idée même de l’effort? 

Un excès de purisme comme un excès de laxisme peuvent nuire à la richesse de cette cinquième langue la plus parlée au monde. 

Photo courtoisie
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Amanda Fakihi, M.Sc science politique, Professionnelle des affaires publiques et présidente de Connexion internationale de Montréal

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