La pauvreté, à qui la faute?

Audrey Renaud, directrice générale, Regroupement Partage
La pauvreté ne cesse de s’aggraver dans notre société. Plutôt que de chercher des solutions durables, nous agissons en mode urgence, comme si chaque situation de précarité était une crise ponctuelle à gérer, et non un symptôme profond de dysfonctionnements sociaux. En quatre ans, l’insécurité alimentaire a bondi de 82%, signe évident que nous faisons fausse route.
Notre approche actuelle ressemble à un triage d’urgence: nous répondons aux besoins les plus critiques sans traiter les causes profondes. Les actions mises en place sont souvent temporaires et servent à limiter les dégâts plutôt qu’à transformer les conditions de vie. Malheureusement, ces interventions s’accompagnent trop souvent de jugements: «Ils ne font pas d’efforts», «Ils ont fait de mauvais choix», «Ils ne veulent pas vraiment s’en sortir». Ces préjugés, lourds à porter, ne font qu’aggraver l’isolement et la souffrance.
Il est temps de revoir notre manière d’analyser la pauvreté. Derrière chaque situation se cache un parcours complexe. Prenons l’exemple de cet homme en fin de carrière, mis à pied à cause de l’automatisation. Son expérience devient un obstacle à l’embauche, et il se retrouve sans ressources, non pas par manque d’ambition, mais par exclusion systémique. Au Québec, 46% des travailleurs vivent de paie en paie. Une perte d’emploi peut donc rapidement devenir un point de bascule.
Autre exemple: cette mère de trois enfants devenue subitement monoparentale. Elle assume seule les responsabilités financières pour offrir un toit stable à sa famille. Entre les frais de logement, l’éducation, les commodités de base et la hausse du coût de la vie, elle se bat chaque jour pour maintenir un équilibre fragile. Lui reprocher ses décisions personnelles ou financières ne fait qu’amplifier son isolement, comme c’est le cas pour 40% des familles monoparentales qui vivent dans une grande précarité au Québec.
La précarité n’est pas un choix. Elle s’impose brutalement, modifie le quotidien et limite les perspectives. Être pauvre, ce n’est pas seulement manquer d’argent, c’est aussi perdre l’accès à l’essentiel (se nourrir, se déplacer, socialiser), perdre le contrôle sur sa vie et voir son espérance de vie réduite.
La majorité des familles qui demandent de l’aide le font par nécessité, pas par facilité. Chaque personne a une histoire, une dignité et une force. Les préjugés ne font que renforcer la stigmatisation et l’exclusion.
Nous avons tous un rôle à jouer pour déconstruire ces idées fausses. La pauvreté ne définit pas une personne: c’est une condition de vie, non un reflet de sa valeur. Ouvrir les yeux sur la réalité, c’est aussi reconnaître que les besoins explosent. Si la tendance se maintient, on prévoit plus de 320 000 nouvelles demandes mensuelles d’aide alimentaire d’urgence d’ici 2027, entraînant un rationnement des denrées dans tout le Québec.
Au Regroupement Partage, nous agissons pour contrer l’insécurité alimentaire et l’exclusion sociale. Nos programmes visent non seulement à répondre aux besoins de base, mais aussi à offrir des outils concrets pour sortir durablement de la pauvreté. Ils ne créent pas de dépendance: ils allument des possibles, soutiennent des élans et redonnent de l’espoir. Rompre le cycle de la pauvreté passe par le respect, la solidarité et l’engagement collectif.

Audrey Renaud, directrice générale, Regroupement Partage