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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Romans d'ici: là où ça fait mal

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Josée Boileau

2021-11-14T05:00:00Z
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Le roman est si court qu’on ne peut deviner, juste à le soupeser, la charge qu’il renferme. Et pourtant, il va cibler juste.

Paule Baillargeon a l’habitude des démonstrations nettes. Elle l’a prouvé comme cinéaste – son film La cuisine rouge de 1980, audacieuse leçon de féminisme, est devenu un classique – et comme auteure.

L’an dernier, son récit Une mère suivi de Trente tableaux tenait en quelque 100 pages et revisitait au scalpel l’enfance étouffée de celle qu’on a surtout connue comme actrice.

Cette fois, avec Une fille sans fusil, elle signe un texte encore plus ramassé, présenté comme roman. À nouveau, Paule Baillargeon ne s’égare pas : elle épingle avec précision les agressions qu’Huguette, sa narratrice, a subies au cours de sa vie.

Longtemps ignorée, la dénonciation d’abus sexuels est maintenant entendue dans l’espace public, sujet de moult reportages, de témoignages et de fictions. Qu’est-ce qu’Une fille sans fusil ajoute ? Le découpage sans concession d’une dynamique qui encadre le quotidien des femmes.

Entre le voyeur qui observe la voisine qui se prépare pour la nuit jusqu’à l’agression pendant une séance de travail avec « un beau fou », un poète connu, toute une série de situations se déclinent. Gestes, commentaires, regards entendus, Paule Baillargeon ne laisse rien échapper, nous obligeant à ouvrir les yeux, même sur ce qui passe pour de l’anecdote.

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La désinvolture

Surtout, elle souligne le plus troublant : la désinvolture masculine. « Après, il a continué le travail sur le poème comme si absolument rien n’était arrivé. Quand je dis rien, je veux dire rien. Une chose qui n’avait pas eu lieu. »

Ç’avait duré deux minutes, n’avait pas été violent, elle n’avait pas dit non : un viol « l’air de rien », comme Huguette le dit. Et ce constat, terrible : « Le viol est arrivé après, quand il a fait semblant que ça ne s’était pas passé. » Reste-t-il quand même quelque chose à dénoncer ?

Cette désinvolture de l’agresseur se manifeste de bien d’autres façons, par des rires notamment ou par le silence de l’entourage.

Si Huguette le constate après tant d’années, c’est que, maintenant âgée, elle est assise devant ce que l’on devine être un psychiatre qui l’amène à remonter le fil de ses souvenirs.

Le récit n’est pourtant pas clinique, car l’auteure l’entrecroise avec des images d’une grande force allégorique, tirées de poèmes et de films, rendant son propos encore plus touchant.

Surtout, Huguette, fille sans fusil qui ne peut « supporter l’idée de ne rien infliger à tous ceux-là qui m’obligent à regarder à terre quand je fais une promenade », se rêve en Jeanne d’Arc. Être une combattante sans peur qui peut lever une armée et en être la cheffe. Il y a tellement à faire.

Huguette ne veut d’ailleurs pas évacuer toute sa colère. Elle devait raconter 14 histoires d’abus, mais décide de garder la dernière pour elle. L’indignation est aussi une arme.

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