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L'article provient de Le Journal de Montréal
Monde

La NFL et la question raciale

AFP
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Photo portrait de Luc Laliberté

Luc Laliberté

2022-02-03T21:07:44Z
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Après deux fins de semaine de football excitant et de performances étonnantes, le Super Bowl pointera bientôt le bout de son nez. Comme bien des amateurs, j’aurais préféré me concentrer uniquement sur le volet sportif. La récente sortie de l’entraîneur Brian Flores m’oriente cependant dans une autre direction.

À plusieurs reprises déjà, j’ai rédigé des billets de blogue sur les difficultés de la NFL à bien gérer des situations sensibles liées à la question raciale. Je l’ai fait ici, ici et ici. Dans le billet sur les entraîneurs de couleur, j’évoquais bien sûr leur famélique représentation, ainsi qu’une des tentatives de la NFL pour améliorer le portrait d’ensemble. 

Depuis l’introduction de la «Rooney Rule», on oblige les propriétaires de la ligue à considérer des candidatures d’entraîneurs de couleur au moment de pourvoir un poste. Les résultats sont pour le moins discutables, le nombre d’entraîneurs de couleur étant actuellement de... un! Il s’agit de Mike Tomlin, des Steelers de Pittsburgh. Au début de la saison 2021, on ne comptait que trois entraîneurs noirs et un total de cinq entraîneurs qui n’étaient pas blancs. 

Je ramène le sujet sur le tapis parce qu’un des trois entraîneurs noirs à commencer la saison 2021 était Brian Flores, des Dolphins de Miami. Flores a été congédié même s’il est parvenu à inverser la tendance à Miami en obtenant des fiches victorieuses sur deux années consécutives.

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Flores fait la manchette cette semaine parce qu’il poursuit la NFL. Il allègue que trois équipes ont des pratiques d’embauche qui sont discriminatoires. L’entraîneur ajoute des révélations fracassantes. L’identité des trois formations? Miami, Denver et New York (Giants).

Flores est-il simplement un mauvais perdant? Un homme amer d’avoir été congédié ou ignoré comme ce fut le cas avec les Giants? Vous pouvez bien sûr pencher pour cette option, mais je crois que la ligue doit s’intéresser d’un peu plus près au comportement de certains propriétaires.

Si vous vous intéressez au football de la NFL sur une base régulière, vous n’êtes pas sans savoir que les relations entre l’entraîneur Flores et le propriétaire des Dolphins Stephen Ross n’étaient pas au beau fixe. 

Ross aurait offert jusqu’à 100 000 dollars à son entraîneur pour qu’il perde des matchs de manière à améliorer le rang des Dolphins lors du recrutement. Il aurait également souhaité que son entraîneur ne respecte pas le règlement de la ligue en approchant illégalement Tom Brady avant qu’il ne s’entende avec les Bucs de Tampa Bay. 

Les mots utilisés par Flores sont très durs et il dénonce une gestion comparable à celle qui existait sur les plantations. Rien de moins. L’entraîneur allègue que le racisme s’est manifesté face à son refus de collaborer aux plans du propriétaire et qu’on a ensuite tenté de le dépeindre comme un «homme noir en colère», un vieux stéréotype qui le discrédite et pourrait contribuer à lui fermer d’autres portes dans la ligue.

Dans sa poursuite, Flores évoque aussi une autre situation controversée, qui implique cette fois les Giants de New York. Après son congédiement, les Giants ont convoqué plusieurs candidats, dont Flores, pour un poste d’entraîneur. Jusque-là, rien de troublant.

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Flores apprend cependant, plusieurs jours avant sa rencontre avec les dirigeants de l’équipe, que le poste a déjà été confié à quelqu’un d’autre. C’est Bill Belechick, un ami et mentor de Flores, qui a échappé l’information en gazouillant avec Flores.

Le légendaire entraîneur des Patriots connaissait deux des candidats approchés par les Giants, Brian Flores et Brian Daboll. En gazouillant, il a fait l’erreur de confondre les deux Brian, croyant avoir affaire à Daboll et non à Flores. La méprise de Belichick est importante, puisqu’il informait donc involontairement Flores que les dés étaient pipés et que son entretien avec la direction n’était qu’une formalité.

Pourquoi les Giants souhaitaient-ils rencontrer Flores alors qu’ils avaient déjà confirmé à Daboll qu’il était leur candidat? En raison de la «Rooney Rule» évoquée au début du texte. Parler à Flores permettait de respecter le règlement, même si on n’avait aucun intérêt pour l’ancien entraîneur des Dolphins. 

Ce que Flores reproche aux Giants, il le reproche également aux Broncos, d’où l’ajout de l’équipe de Denver à la poursuite. Mais ici aussi, l’entraîneur déchu ajoute quelques précisions qui n’augurent absolument rien de bon pour les dirigeants des Broncos. 

Au moment de la rencontre, John Elway et Joe Ellis se seraient présentés avec plus d’une heure de retard et visiblement éméchés. À ce moment, on aurait laissé entendre à Flores qu’il n’était là qu’en raison de la «Rooney Rule». Il n’avait aucune chance d’obtenir le poste, mais il fallait bien montrer à la ligue qu’on avait considéré un candidat de couleur...

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Selon que vous croyez ou non aux pratiques discriminatoires des équipes de la NFL, il faut reconnaître à Flores beaucoup de courage ou de culot. Il figure toujours sur les listes de trois équipes pour d’éventuelles rencontres et il sait bien que sa poursuite et la couverture médiatique qu’elle entraîne risquent de lui fermer des portes. Il sait bien que, si la NFL a reconnu des torts avec l’épisode Colin Kaepernick, le quart-arrière n’a jamais pu revenir sur un terrain de la NFL.

Je termine en soulignant que Brian Flores a affirmé qu’il se fichait de revenir ou pas même s’il pense football 24h/24. À ses yeux, sa cause est plus importante que sa personne et sa carrière. Symboliquement, la poursuite a été annoncée dans le contexte du début du Mois de l’histoire des Noirs. 

La ségrégation, le racisme et la discrimination sont de très vieilles plaies de l’histoire américaine. Si, en plus d’un quart de siècle d’enseignement, j’ai pu remarquer des progrès, les plaies tardent à se refermer et la douleur est encore vive. Le sénateur américain Ted Cruz ne vient-il pas de reprocher au président Biden de se comporter en raciste en annonçant tout de suite qu’il choisirait une première femme noire pour siéger à la Cour suprême? Oui, vous avez bien lu...

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