Publicité
L'article provient de Le Journal de Montréal
Monde

Guerre en Ukraine: la «neutralité prorusse» de la Chine

AFP
Partager

Julien Corona

2022-03-18T19:00:00Z
Partager

Depuis le début de l’agression russe en Ukraine, la Chine offre une posture tiraillée entre son hostilité à la domination américaine dans les relations internationales et ses réserves sur la guerre que mène Vladimir Poutine.  

• À lire aussi: Xi Jinping à Joe Biden: Chine et É.-U. ont la responsabilité d’aider à la paix mondiale

• À lire aussi: Biden va menacer Xi Jinping de représailles si la Chine envoie de l'aide militaire à la Russie

Le conseiller américain à la sécurité nationale Jake Sullivan et le directeur de la commission des affaires étrangères de la Chine Yang Jiechi se sont rencontrés le 14 mars à Rome. Cette rencontre, jugée cruciale par de nombreux observateurs, remet en avant la position de la Chine face au conflit en Ukraine. 

La position chinoise

Le 4 février dernier, Xi Jinping et Poutine ont conclu un partenariat «sans limites» pour coopérer contre l’Occident. 

Le 2 mars, le New York Times a appris par l’intermédiaire de sources dans le renseignement américain que la Chine avait peut-être été mise au fait des plans d’invasion russes à l’avance. 

Et le 13 mars, le Financial Times a publié que Vladimir Poutine souhaite demander l’aide de la Chine dans la poursuite de son agression en Ukraine. 

Publicité

Depuis le début de la crise, la Chine met sur un pied d’égalité le droit de la Russie d’obtenir ses garanties de sécurité face à l’OTAN et l’Occident et le droit à l’Ukraine à sa protection et à la garantie de son intégrité territoriale. 

Cette position est primordiale si la Chine souhaite continuer de respecter à minima les trois principes fondamentaux de la politique étrangère de Xi Jinping, comme l’explique le professeur à l’Université Laval Érick Duchesne dans une analyse parue dans le quotidien hongkongais Asia Times

Le premier principe est le respect de l’intégrité territoriale des États. 

Le second principe est l’égalité stratégique de la Chine avec les États-Unis et la promotion de la multipolarité (soit la promotion d’une diversité des centres de pouvoir à l’échelle mondiale). 

Le dernier principe est la participation accrue dans les institutions économiques internationales. 

La position chinoise est «une neutralité prorusse», selon Justin Massie, professeur titulaire de science politique à l’UQAM et membre de l’Institut d’études internationales de Montréal.  

«La Chine a la volonté d’être neutre, vu son abstention à l’assemblée générale des Nations unies sur la résolution condamnant l’invasion russe. Mais elle a dans les faits une politique prorusse, par sa condamnation des sanctions, son martèlement de la propagande russe sur ses chaînes de télévision d’État et son aide au contournement desdites sanctions.»

Position d’équilibre difficile à tenir à l’international... comme auprès des Chinois

L’équilibrisme chinois fait aussi des remous en Chine, où deux positions s’affrontent. 

Le vice-président du centre de recherche sur les politiques publiques du bureau du conseiller au Conseil d’État, Hu Wei, a pu se faire l’avocat de l’abandon pur et simple de la Russie pendant qu’il est encore temps. 

Publicité

Pour Wei, avec cette position, le seul moyen, pour la Chine, de gagner quelque chose est que Moscou sorte vainqueur ou fort de ce conflit. 

À ce jour, cela n’est pas envisageable, selon lui. 

Hu Wei ajoute que rester lié à Poutine ne fera que faire perdre du poids à la Chine dans la communauté internationale, la laissant dans une position perdant-perdant avec la Russie. 

Cette position ne peut pleinement rejoindre les demandes russes de soutien. Celles-ci ne pourraient l’être que par l’abandon de la neutralité, la mettant alors sous le risque de sanctions de l’Occident. 

La deuxième position est incarnée par le directeur de l'Institut supérieur d'études mondiales et contemporaines sur la Chine à l'Université chinoise de Hong Kong (Shenzen), Zeng Yongnian. Il explique que cette guerre et le partenariat «sans limites» entre la Chine et la Russie doivent être maximisés pour atteindre plus rapidement l’objectif de restructuration de l’ordre mondial souhaité par les deux puissances. 

Il explique qu’en faisant croire à l’Occident un retour de la menace russe, cette guerre va ralentir le pivot vers l’est des Américains. Ce faisant, la Chine peut être moins pressée dans sa reconstruction comme dans son évitement de l’encerclement pacifique en cours de formation par les États-Unis et ses alliés dans la région. 

Pour l’auteur, tant que des erreurs stratégiques trop fortes ne sont pas faites, toute assistance dans le conflit peut être apportée de manière à accorder à la Chine plus de latitude dans son expansion et plus de contrôle sur le géant russe. 

La Chine et ses intérêts en ligne de mire

Selon l’agence américaine d’information sur l’énergie, la Russie est le premier pays fournisseur de la Chine en pétrole, avec une part de 14%. Quant au gaz, la Russie est le troisième pays exportateur en Chine, selon des chiffres compilés par S&P. 

L’amitié «sans limites» décrétée par Xi Jinping et Poutine ne va que faire augmenter ces chiffres dans les prochaines semaines. Et les diverses sanctions imposées à la Russie ne peuvent que la forcer à regarder encore plus vers l’Est, augmentant encore plus sa dépendance, explique Justin Massie. 

Il cite par exemple le projet des routes polaires, réseau de voies terrestres et maritimes pour faire parvenir hydrocarbures et autres ressources du Grand Nord aux marchés internationaux, qui maintenant vont se voir connectées aux nouvelles routes de la soie chinoises. 

Il cite aussi l’échappatoire aux sanctions occidentales offerte en échange d’une présence bancaire chinoise renforcée. Cette présence renforcée marquée par des possibilités de financement en yuan multiplie le risque d’une soumission du rouble à la monnaie chinoise. 

«Il y a une fenêtre d’opportunité pour la Chine, de saisir la vulnérabilité russe pour y asseoir son influence politique et économique.» 

Publicité
Publicité