Diagnostics en hausse au Québec: la maladie de Crohn fait des ravages chez les enfants

Héloïse Archambault
Le nombre d’enfants atteints de la maladie de Crohn grimpe en flèche depuis plus de 10 ans au Québec, un mystérieux diagnostic incurable pour lequel les médecins n’ont toujours pas d’explication claire.
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«Ça fait des années que ça augmente. [...] Le Canada est un des pays avec le plus haut taux de maladie inflammatoire au monde», souligne la Dre Colette Deslandres, cheffe de la gastroentérologie au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine.

Depuis 2009, les cas de maladie inflammatoire de l’intestin ont augmenté de 86 % à Sainte-Justine. La maladie de Crohn compte pour les deux tiers des cas.
Cette maladie incurable provoque l’inflammation de la muqueuse du tube digestif et perturbe la digestion des aliments. Chez des patients, certains aliments peuvent être des déclencheurs de crise.
Maux de ventre, sang dans les selles, perte de poids : toutes sortes de symptômes sont possibles.
«J’ai des patients qui se protègent en cessant de manger, parce que ça leur fait mal à chaque fois», se désole la Dre Deslandres.
Pour la vie
Évidemment, l’annonce du diagnostic est difficile pour les familles, qui devront composer avec une maladie incurable et des traitements réguliers à l’hôpital.
«C’est une claque en pleine face quand tu reçois ça, souligne-t-elle. On voit le regard des parents sonnés quand on leur parle.»
«C’est difficile de dire que c’est une maladie chronique et sans cure pour l’instant», ajoute la Dre Laurence Chapuy, gastroentérologue pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants.
L’an dernier, 156 nouveaux enfants ont été diagnostiqués à Sainte-Justine, pour un total de 779 patients suivis. À l’Hôpital de Montréal pour enfants, 75 nouveaux cas se sont aussi ajoutés.
«Il y a 50 ans, c’est une maladie qui n’existait presque pas», note la Dre Chapuy.
Pourquoi les cas augmentent? La Dre Deslandres répond que la personne qui trouvera la réponse «va gagner le prix Nobel». Plusieurs facteurs sont tout de même identifiés, dont la nourriture transformée, la vie urbaine et la génétique.

Meilleur diagnostic?
À Sainte-Justine, la grande majorité des patients sont diagnostiqués à l’adolescence, autour de 13 ou 14 ans. Or, depuis 2009, 5 % d’entre eux (67 enfants) avaient moins de six ans.
La Dre Deslandres rejette par ailleurs l’hypothèse que la hausse des cas soit liée à un meilleur diagnostic. «Nos outils diagnostiques sont très bons depuis une vingtaine d’années. On en voit vraiment plus», assure-t-elle.
Bien que la maladie soit incurable, des médicaments aident à l’endormir (qu’on appelle la rémission). Même si le patient n’a plus de symptômes, le traitement est essentiel.
«Si on arrête tout, on joue avec le feu et ça va reprendre», dit la Dre Deslandres.
Dans le pire scénario, le patient doit se faire enlever une partie de l’intestin ou même tout le système digestif et vivre avec un sac, ce qui reste très rare chez les enfants.
La Dre Deslandres constate malgré tout que les patients ont une bien meilleure qualité de vie depuis 20 ans. Les traitements sont plus ciblés et engendrent moins d’effets secondaires.
Elle a aussi espoir qu’un remède sera découvert.
«Il y a énormément de recherche qui se fait», s’encourage-t-elle.
Un jeune patient demeure positif et espère un remède
Malgré un diagnostic de maladie incurable pour laquelle il devra prendre des médicaments toute sa vie, un adolescent de 16 ans demeure positif et espère la découverte d’un remède.
«Pour l’instant, je vis super bien avec ça! Si mes traitements continuent bien, je ne vois pas quel serait le problème. C’est bien géré et je n’ai presque pas de symptômes», confie Victor Chevalier, qui n’a aucune gêne à parler de sa maladie de Crohn.
«C’est zéro tabou, mes amis le savent. J’en parle ouvertement», dit-il.

Évidemment, vivre avec une maladie incurable qui nécessite des traitements mensuels à l’hôpital peut donner le vertige ou décourager des patients. Or, l’adolescent de Boucherville se réjouit d’avoir une vie « normale » comme ses amis, et pratique plusieurs sports (hockey, football, soccer).
Juste... les fraises
Seule exception, le jeune homme ne tolère pas les fraises.
«Ça ne marche pas pour moi ! Une ou deux, ce n’est pas grave. Mais si j’en mange trop, j’ai mal au ventre, dit-il.»
Dans le cas de Victor, les symptômes sont arrivés de façon soudaine, à l’âge de 11 ans.
«Je commençais à avoir mal au ventre, et il y avait du sang dans mes selles. Ça a sonné la cloche», se rappelle-t-il.
Après des examens à l’Hôpital Sainte-Justine, le diagnostic est rapidement tombé. L’enfant avait un abcès et des lésions dans les intestins qui lui causaient beaucoup de douleurs.
Hospitalisé, l’enfant a perdu autour de 7 kg (15 lb), et avait beaucoup de maux de ventre.
«Il ne mangeait presque pas, ça a été difficile, cette période-là», se souvient sa mère, Geneviève Bédard.
Elle-même ayant eu un diagnostic de la même maladie à la fin de l’adolescence, elle avait toujours redouté de transmettre le Crohn à ses fils.
Le diagnostic de Victor l’a d’ailleurs «chamboulée».
«Je sais ce que c’est, ce n’est pas une balade au parc cette affaire-là», dit-elle.
- Écoutez l'entrevue avec la Dre Colette Deslandres, cheffe de la gastroentérologie au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine sur QUB radio :
Période d’ajustement
Après le diagnostic, le garçon a entamé une médication par intraveineuse, toutes les six semaines. Au bout de quelques mois, ils ont finalement trouvé le bon dosage.
«Une fois que c’était bien dosé, ça allait très bien», relate sa mère.
Durant les quatre années suivantes, l’adolescent n’a eu aucune phase active de la maladie. L’an dernier, Victor a développé un psoriasis intense sur la tête, un effet secondaire du traitement.

Soigné en dermatologie avec toutes sortes de crèmes et de médicaments, Victor a finalement changé de médicament. Depuis, tout «est bien contrôlé», et le psoriasis est parti, à son grand soulagement.
Optimiste pour l’avenir
«Le psoriasis m’a affecté plus que ma maladie, j’avais vraiment hâte que ça finisse!», avoue l’adolescent, qui n’est pas démoralisé par les visites mensuelles à l’hôpital.
«C’est un passage obligé, je n’ai pas le choix», dit-il.
«Il y a d’autres maladies qui peuvent être plus graves. J’ai été chanceux dans ma malchance.»
Optimiste, celui qui aspire à devenir électricien ou enseignant d’éducation physique rêve du jour où un traitement curatif sera découvert.
«La science fait beaucoup de choses. On pourrait croire que dans un avenir rapproché, on trouve un remède à ça. Ça pourrait être envisageable», confie-t-il.
Les enfants et les diagnostics de maladies inflammatoires de l’intestin
- 2021: 156
- 2020: 136
- 2019: 116
- 2018: 136
- 2017: 120
- 2016: 96
- 2015: 100
- 2014: 100
- 2013: 90
- 2012: 69
- 2011: 96
- 2010: 82
- 2009: 84
Hausse pour cette période : 86 %
Ces cas comprennent la maladie de Crohn (67 % des cas), la colite ulcéreuse et colite indéterminée. Source : CHU Sainte-Justine
Qu’est-ce que la maladie de Crohn ?
Elle provoque l’inflammation de la muqueuse du tube digestif et perturbe la digestion des aliments et l’absorption des nutriments.
Elle est chronique et incurable, et les patients doivent prendre des médicaments pour éviter des périodes « actives » de la maladie (ulcères, douleurs, sang, etc.).
Elle représente les deux tiers des maladies inflammatoires intestinales.
Chez les adolescents, les garçons sont plus touchés que les filles (1,5 pour 1)
Dans les cas les plus graves, une chirurgie est nécessaire pour enlever une partie de l’intestin, ou l’ablation complète.
Symptômes
- Douleurs abdominales
- Diarrhée
- Sang dans les selles
- Retard de puberté
- Retard de taille
- Perte de poids
- Fièvre
- Arthrite
- Lésions douloureuses sur la peau
Facteurs qui favorisent l’apparition de la maladie
- Vivre en milieu urbain
- Pays de l’hémisphère nord Consommation de produits transformés
- Facteur génétique dans 10 % à 15 %
- Changement du microbiote (exposition aux antibiotiques)
- Sédentarité
Source : Crohn et Colite Canada et CHU Sainte-Justine
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