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L'article provient de Bureau d'enquête

La GRC et la Sûreté du Québec utilisent des drones chinois bon marché et faciles à pirater

La compagnie chinoise qui les fabrique est soupçonnée d’espionnage aux États-Unis

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Photo portrait de Sarah-Maude Lefebvre

Sarah-Maude Lefebvre

2024-03-05T05:00:00Z
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La Sûreté du Québec, la Gendarmerie royale du Canada et même l’armée canadienne utilisent des drones chinois bon marché et faciles à pirater qui ont été bannis par les États-Unis parce qu’ils pourraient être utilisés à des fins d’espionnage, a découvert notre Bureau d’enquête.

La GRC nous a confirmé posséder 400 de ces drones chinois. La Sûreté du Québec en a aussi acquis «plusieurs», sans pouvoir chiffrer leur nombre exact. Des ministères stratégiques, comme celui de la Sécurité publique du Québec, ont aussi recours aux drones DJI (voir ci-bas).

La firme Da Jiang Innovation (DJI), qui domine le marché mondial de la vente de drones, a pourtant été pointée du doigt à plusieurs reprises au cours des dernières années. L’armée américaine a banni l’usage des drones DJI depuis 2017, et la compagnie figure depuis 2020 sur la liste noire des compagnies qui posent un risque en matière de sécurité nationale aux États-Unis (voir ci-bas).

Photo Francis Halin
Photo Francis Halin

Depuis mai dernier, la Défense australienne a aussi cloué au sol tous ses drones DJI.

La compagnie chinoise est également critiquée pour son comportement en matière de droits de la personne. Selon les États-Unis, ses drones auraient servi à surveiller des Ouïghours dans la province du Xinjiang en 2017. Le gouvernement ukrainien a aussi interpellé le géant chinois en 2022 pour qu’il cesse de collaborer avec la Russie.

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  • Écoutez la revue de presse commentée par Alexandre Dubé via QUB :

Sur la défensive

Les institutions qui ont recours aux drones DJI assurent utiliser cette technologie de façon sécuritaire.

«Les images recueillies sont considérées comme des renseignements de nature non délicate», a souligné la porte-parole de la GRC Kim Chamberland.

«Nous travaillons avec ces drones de façon restreinte, dans le cadre d’opérations précises», a aussi commenté le porte-parole de la Sûreté du Québec, Benoit Richard.

L’armée canadienne, qui détient un «nombre limité» de drones DJI, affirme en avoir pour étudier leur fonctionnement, mais les utilise aussi afin de prendre des images non classifiées.

D’autres organismes, comme Transports Canada ou encore le Bureau de la sécurité des transports, ont aussi indiqué utiliser ces radars pour faire de l’imagerie aérienne. 

De son côté, le ministère de la Sécurité publique du Québec affirme ne pas voir «de risque à la sécurité en matière d’espionnage en lien avec l’utilisation qu’il fait des sept drones qu’il a en sa possession, soit dans le cadre de visites terrain». 

La Gendarmerie royale du Canada utilise des drones DJI, semblables à celui-ci, dans le cadre de ses opérations.
La Gendarmerie royale du Canada utilise des drones DJI, semblables à celui-ci, dans le cadre de ses opérations. Capture d'écran YouTube Transports Canada

Le cancre canadien

Le recours aux drones DJI n’est pourtant pas sans risques, comme l’a démontré en mars dernier une équipe du Horst Görtz Institute for IT Security de l’Université de la Ruhr à Bochum, en Allemagne.

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Les chercheurs ont annoncé avoir facilement réussi à contourner les mesures de sécurité du logiciel des drones DJI. Selon eux, il serait aisé pour un pirate ou un gouvernement malveillant de déterminer l’emplacement exact d’un drone DJI, d’en modifier le numéro de série ou de contourner les mécanismes qui permettent aux autorités de suivre leur trajectoire.

Le Canada, en ayant recours à ces drones chinois bon marché, fait montre encore une fois de ses faiblesses en matière de sécurité nationale, selon les différents experts consultés. Or, un virage doit être fait si le gouvernement canadien veut être pris au sérieux, d’autant plus que DJI souhaite lui vendre encore plus de drones (voir autre texte).

« On est au-dessus de nos affaires. Il y a une mauvaise compréhension des risques. On y va simplement avec le plus bas soumissionnaire conforme, avec ceux qui coûtent le moins cher »

Luc Lefebvre, co-fondateur de Crypto.Québec

- Luc Lefebvre, co-fondateur de Crypto.Québec

Photo COURTOISIE LUC LEFEBVRE

«Le Canada est techniquement en guerre cyber contre la Chine. Il est aberrant que nous dépendions encore si intensément de notre adversaire, avec qui nous sommes activement en conflit, d’un point de vue technologique [...] Le Canada est toujours à la remorque. C’est d’ailleurs une grosse critique des autres membres de l’OTAN et des Five Eyes (alliance de services de renseignement): le Canada gère à la crise au lieu d’être proactif», poursuit-il.

L’ancien officier du Service canadien du renseignement de sécurité et directeur du Global Intelligence Knowledge Network, Neil Bisson, rappelle qu’il appartient au Canada de faire les vérifications nécessaires lorsque des pays alliés signalent une problématique.

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«Lorsque le gouvernement canadien regarde pour potentiellement acheter des drones ou des caméras fabriqués par des pays qui ont des enjeux avec le Canada, il doit y avoir une recherche approfondie pour comprendre le logiciel du produit et ses composantes», dit-il.

 Avec la collaboration de Francis Halin, Yves Lévesque et Chrystian Viens

La compagnie veut se rapprocher du bureau du premier ministre

La compagnie DJI souhaite pouvoir entrer en relation avec le bureau du premier ministre Justin Trudeau et différents ministères afin de vendre davantage de drones au gouvernement canadien.

La firme chinoise a embauché un lobbyiste en octobre dernier pour faire valoir la «valeur» que ses aéronefs télépilotés pourraient apporter au gouvernement ainsi que les mesures qu’elle a prises pour «protéger la sécurité».

Selon l’enregistrement au Registre des lobbyistes, DJI souhaite approcher différents ministères, comme la Défense nationale et Sécurité publique Canada, mais aussi le cabinet du premier ministre et le Bureau du Conseil privé.

Le lobbyiste embauché par DJI, Dario Dimitriev, a précédemment œuvré à l’ambassade d’Israël et a travaillé comme «assistant du ministre des Sciences et des Sports, où il a collaboré avec des intervenants de plusieurs ministères et organisations», peut-on lire dans sa fiche sur le site de son employeur, Loyalist Public Affairs.

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Nous avons tenté de le joindre, mais c’est son partenaire d’affaires, Dan Mader, qui a répondu à nos questions par courriel.

«Nous avons récemment repris contact avec des représentants du gouvernement fédéral pour discuter des développements récents des produits DJI, notamment des avancées en matière de sécurité et de protection des données [...] Les drones DJI sont déjà utilisés par de nombreuses organisations gouvernementales à travers le Canada dans des applications telles que la recherche scientifique et la recherche et le sauvetage, et ils ont hâte de continuer à fabriquer des produits parfaitement adaptés à ces applications», nous a-t-il écrit.

Le Registre des lobbyistes recense deux communications avec Sécurité publique Canada et Services publics et Approvisionnement Canada depuis octobre.

Aucune communication n’a eu lieu à ce jour entre DJI et le bureau du premier ministre.

«Nous prenons en compte toutes les considérations pertinentes lorsqu’on évalue les demandes de rencontres. Nous ne faisons pas de commentaires spéculatifs sur des invitations possibles», a indiqué à ce sujet le porte-parole du Bureau du Conseil privé, Pierre-Alain Bujold.

ILS ONT DES DRONES DJI

Au Canada :

  • Défense nationale et Forces armées canadiennes : un nombre « limité » de drones qui ne sont pas utilisés à des fins opérationnelles militaires
  • Gendarmerie Royale du Canada: 400 drones
  • Agriculture et Agroalimentaire Canada: 39 drones
  • Environnement et Changement climatique Canada: 16 drones
  • Bureau de la sécurité des transports du Canada: 14 drones
  • Transports Canada: 9 drones
  • Services aux Autochtones Canada: 6 drones
  • Agence spatiale canadienne: 2 drones

Au Québec :

  • Sûreté du Québec: «plusieurs» drones
  • Ministère des Ressources naturelles et des Forêts: 55 drones
  • Ministère des Tranports et de la Mobilité durable: 44 drones
  • Ministère de la Sécurité publique: 7 drones
  • Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation: 1 drone
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LES DRONES DJI POINTÉS DU DOIGT DEPUIS DES ANNÉES
  • 2017 L’Armée américaine bannit l’usage des drones DJI en raison de «cyber vulnérabilités» détectées sur les appareils
  • 2019 Le Département de l'Intérieur des États-Unis annonce qu’il cloue au sol tous ses drones fabriqués à l’étranger, dont la majorité sont de marque DJI, par crainte d’espionnage.
  • 2020 DJI est ajouté sur la liste noire américaine des compagnies qui représentent un risque en matière de sécurité nationale et qui sont sujettes à des restrictions de licences et d’exportation.
  • 2021 Le président Trump signe un ordre exécutif pour accélérer le retrait des drones fabriqués en Chine de la flotte américaine.
  • 2023
    • Des états américains, comme l’Arkansas et la Floride, emboîtent le pas au gouvernement fédéral et interdisent à leur tour les drones DJI.
    • Une équipe de chercheurs allemands démontre qu’il est facile de pirater ces drones.
    • La défense australienne bannit à son tour les drones DJI en mai.
    • Une enquête du Biometrics and Surveillance Camera Commissioner suscite des inquiétudes au Royaume-Uni quant à la «sécurité» et «l’éthique» du recours aux drones DJI par des corps de police anglais.

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