La génération qui veut exister

Simon-Pierre Thibeault, étudiant à la maîtrise en sociologie à l’Université Laval
Un sondage CROP publié récemment révèle une tendance qui prend de l’ampleur: chez les 18 à 34 ans, 56% se disent favorables à l’indépendance du Québec. Une montée qui s’inscrit dans un contexte où ma génération redécouvre un projet que certains croyaient enterré. Et moi, je fais partie de cette vague.
Aujourd’hui, je veux expliquer pourquoi.
Il y a quelques années, j’ai voyagé à Toronto. Un simple déplacement interprovincial. Mais, dès mon arrivée, j’ai ressenti un décalage profond, presque physique. Pour la première fois, je me suis senti étranger alors que je n’avais pas quitté le Canada.
Les gens que je rencontrais étaient chaleureux, mais nous ne partagions pas le même langage. Nos références culturelles divergeaient entièrement. Dans les cafés et les commerces, à la radio, à la télévision du centre-ville, on diffusait des émissions et des chansons qui m’étaient inconnues.
Appartenance
Leur trame narrative collective n’était pas la mienne. Là-bas, les héros se nomment John A. Macdonald, George Brown, Terry Fox. Pour moi et pour beaucoup de Québécois, les figures marquantes sont Maurice Richard, Yvon Deschamps, René Lévesque, Michel Tremblay. Ici, ces noms résonnent comme des évidences, mais, là-bas, ils ne sont que des inconnus.
Le Canada est, objectivement, un pays enviable à plusieurs égards. Il respecte les droits de la personne, il est démocratique, il jouit d’une réputation positive à l’étranger. Mais ce n’est pas mon pays.
Le seul drapeau qui m’appartient véritablement, celui qui représente ma collectivité, est orné de la fleur de lys. Ce drapeau ne flotte ni aux Nations unies ni aux Jeux olympiques. Il reste, aux yeux du monde, invisible. Pourtant, il devrait être brandi chaque fois qu’un Québécois monte sur un podium international, à chaque rencontre diplomatique où l’on parle au nom de notre peuple. Comme toutes les autres nations, nous méritons d’être représentés par nos propres symboles.
Pour en finir avec le «petit pain»
Pendant trop longtemps, on nous a répété que nous étions «nés pour un petit pain», un peuple destiné à un avenir modeste, sans grandes ambitions. Cette idée s’est immiscée dans nos paroles et nos façons de penser. Il faut reconnaître que nous avons enchaîné les revers: deux référendums perdus, une difficulté persistante à obtenir la reconnaissance de notre société distincte ainsi que des reculs concernant la défense de notre langue et de nos valeurs.
Ces échecs ont alimenté un Québec-bashing virulent, surtout sur les réseaux sociaux. On nous reproche de faire trop d’efforts pour préserver notre langue, notre culture et notre histoire, comme si tout cela était un frein au progrès. Beaucoup pensent que nous devrions simplement nous angliciser et que s’accrocher à notre identité est une illusion dépassée, un obstacle inutile. On nous accuse de rester figés dans un passé qui n’a plus de place dans le monde moderne.
On nous méprise, non pas parce que nous sommes Québécois, mais parce que nous ne l’assumons pas assez. Alors, les jeunes refusent de rester dans l’ombre et veulent enfin prendre leur place avec fierté. Nous voulons que notre drapeau, notre langue, notre culture soient portés au grand jour. Nous voulons écrire nos propres lois, signer nos propres traités et avoir notre place entière à la table des nations. Tout comme moi, plusieurs jeunes sans pays sont prêts à devenir de grands bâtisseurs.
En somme, la nouvelle génération souverainiste, dont je fais partie, refuse cet héritage de résignation. Car un peuple qui cesse de croire en lui-même cesse, tôt ou tard, d’exister. Et nous avons décidé, nous, de croire encore.
Simon-Pierre Thibeault
Étudiant à la maîtrise en sociologie de l’Université Laval