La FTQ-Construction a changé ses règlements pour accommoder un agresseur
Cela a permis à Rénald Grondin d’être payé par le syndicat pour en être le président
Sarah-Maude Lefebvre et Jean-Louis Fortin
Moins de deux ans après que Rénald Grondin a signé l’entente de départ de l’employée qu’il avait agressée, il a convaincu la FTQ-Construction de changer ses règlements pour en devenir le président.
Nous avons rapporté que l’ancien président de la FTQ-Construction aurait fait régner un régime de terreur pendant des années dans ce syndicat, au point où l’actuelle présidente de la FTQ , Magali Picard, ose même le comparer à un «caïd».
L’homme avait une telle influence que même des règlements internes ont été changés pour l’accommoder.
Depuis sa création en 1980, la FTQ-Construction (FTQ-C) a toujours été présidée par le directeur général d’une de ses sections locales, et c’est encore le cas aujourd’hui. Rénald Grondin a été la seule exception.
Lors de son congrès de 2018, le syndicat a modifié son règlement interne et fait disparaître l’obligation pour son président d’être directeur d’un syndicat affilié.
Cela a permis à Grondin d’être nommé président même s’il venait de quitter son poste de directeur du local de l’Association des Manœuvres Inter-Provinciaux (AMI). Même s'il avait commis des agressions sexuelles sur une secrétaire plusieurs années auparavant. La FTQ-C a toujours nié avoir été au courant du passé de Rénald Grondin.
Les changements faisaient aussi en sorte que le salaire du président était désormais déterminé directement par l’exécutif de la FTQ-Construction. Selon nos informations, Grondin a ainsi pu toucher plus de 170 000$ annuellement comme président.

«J’ai demandé que la FTQ me paie»
Joint au téléphone, M. Grondin a admis avoir bénéficié d’une exception quasi historique au sein du syndicat.
«Il n’y avait jamais eu un président de la FTQ rémunéré directement par la FTQ-C. Ça n’a pas changé. Ils l’ont fait pour moi à l’époque parce qu’il y avait beaucoup d’ouvrage au local AMI [...]. Je leur ai dit que je ne serais pas capable de faire les deux à temps plein, que c’était de l’ouvrage pas à peu près. J’ai demandé que la FTQ me paie, pis c’est toute. C’est pas une grosse affaire», a-t-il expliqué.
Après sa démission en 2022, les choses sont revenues comme avant. Son successeur, Arnold Guérin, a été rémunéré par le local qu’il dirigeait, la Fraternité Inter-Provinciale des Ouvriers en Électricité (FIPOE).
Il a démissionné de son poste à la tête de la FTQ-Construction cet automne, pendant la préparation de ce reportage. Le syndicat n’a pas répondu à nos demandes pour connaître la raison de son départ.
Le DG demande le silence
Des années après le départ de son ex-président Rénald Grondin, le silence quant aux agressions sexuelles qu’il a commises est toujours imposé à la FTQ-Construction.
Le directeur général de la FTQ-Construction, Éric Boisjoly, a même demandé à ses troupes de ne pas répondre aux questions de notre Bureau d’enquête, au cours des dernières semaines.
Dans un courriel qu’il a envoyé aux syndicats affiliés à la FTQ-Construction au début octobre, dont nous avons obtenu copie, Boisjoly envoie un message clair:
«Une journaliste, Sarah-Maude Lefebvre, tente d’entrer en contact avec la direction de la FTQ-Construction depuis un certain temps. Nous n’avons accordé aucune entrevue», écrit-il.
«J’ai également eu la confirmation de certains d’entre vous qu’elle tente de solliciter les affiliés pour obtenir des informations. Nous vous demandons de ne pas donner suite à sa demande et d’en aviser Élizabeth Cloutier», poursuit la missive.
Mme Cloutier est conseillère aux communications à la FTQ-Construction.
Le ministre du Travail réagit
Depuis le début de notre enquête sur le climat de peur qu’imposait Rénald Grondin, la FTQ-Construction s’est refusée à tout commentaire.
Encore hier, Mme Cloutier nous a fait savoir qu’Éric Boisjoly n’accorderait aucune entrevue.
Interpellé par notre enquête, le ministre du Travail Jean Boulet nous a indiqué hier avoir joint à ce sujet la présidente de la FTQ Magali Picard au téléphone.
«Mme Picard m’a confirmé tout le sérieux qui avait été accordé aux recommandations faites par l’enquêtrice externe et que tout était en place et sous contrôle», a-t-il commenté, indiquant aussi que «s’il y a des lacunes, il faut s’assurer qu’elles soient bien identifiées».
Le ministre a rappelé que c’était pour lui «inadmissible» qu’une secrétaire ait été agressée par l’ancien président du plus important syndicat de construction au Québec.