La fin (et non l’abolition) de l’esclavage au Québec
Martin Landry
Au Canada, le principal acte de résistance des esclaves, ce n’est pas la violence, non, c’est la fuite.
Fuir ou aider d’autres esclaves à gagner leur liberté: ce phénomène va s’accentuer en 1777, quand un certain nombre d’esclaves vont fuir l’Amérique du Nord britannique pour se cacher au Vermont, cet État américain ayant aboli l’asservissement des humains sur son territoire.

LÉGISLATION POUR ABOLIR L’ESCLAVAGE AU CANADA
À la fin des années 1700, on voit apparaître en Angleterre de plus en plus de campagnes contre l’esclavage. D’anciens esclaves comme Ignatius Sancho prennent la parole pour influencer l’opinion publique. On sent que l’attitude de la population libre de l’Amérique du Nord britannique commence tranquillement à changer face à cette réalité inhumaine.
Au Canada, il faut attendre 1793 pour qu’une première loi ouvre la voie à l’abolition graduelle de l’esclavage.

Cette année-là, le loyaliste noir Peter Martin est témoin d’un incident violent qu’il rapporte lors d’une réunion du Conseil exécutif du Haut-Canada (Ontario). Il explique que Chloe Cooley, une femme asservie d’ascendance africaine, vient d’être rudement attrapée par son maître, l’esclavagiste Adam Vrooman. Elle a été ligotée, bâillonnée et transportée contre son gré de l’autre côté de la rivière Niagara pour être vendue à un Américain de l’État de New York. Malgré ses cris et sa résistance, Chloe Cooley n’a pas réussi à s’enfuir et a été vendue comme du bétail.

Touché par cette histoire, le lieutenant-gouverneur du Haut‐Canada, John Graves Simcoe, décide d’intervenir. Il fait voter une loi rendant illégale l’arrivée d’esclaves sur le territoire du Haut‐Canada. La législation spécifie que les enfants nés de parents esclaves seront dorénavant libérés dès l’âge de 25 ans. La loi n’abolit pas l’asservissement humain, mais elle précise quand même que les esclaves qui migrent vers le Haut-Canada seront désormais considérés comme libres.
Ainsi, les personnes asservies et nées avant la loi vont le demeurer pour le reste de leur vie. Il y a donc des familles dont les parents sont en esclavage, le grand frère est aussi en esclavage, mais la petite sœur, admettons, elle, le sera seulement jusqu’à 25 ans.
Aly Ndiaye
Au Bas-Canada (Québec), on essaie d’adopter une loi similaire la même année, mais le lobby esclavagiste réussit à la bloquer. On avait déjà fait une tentative semblable pour abolir l’esclavage six ans auparavant, mais elle n’était pas passée, principalement parce que de nombreux hommes de loi étaient eux-mêmes des propriétaires d’esclaves.
Malgré tout, au début des années 1800, les tribunaux du Bas‐Canada se prononcent contre les propriétaires d’esclaves et libèrent les personnes qui ont été esclavagées.
Finalement, le 25 mars 1807, la traite des esclaves est abolie dans l’Empire britannique. La pratique devient complètement illégale, autant l’achat que la vente d’êtres humains. Cependant, la loi ne rend pas illégales la détention ou l’exploitation des esclaves. Ce n’est qu’en 1834 que la pratique totale de l’esclavage est abolie partout dans l’Empire britannique. Notons que l’Île-du-Prince-Édouard l’avait déjà abolie en 1825.

CHARLOTTE TRIM ET LE JUGE JAMES MONK
En février 1798, l’esclave noire Charlotte Trim fuit le domicile de sa maîtresse. Charlotte finit par être retrouvée, mais elle refuse catégoriquement de retourner chez sa maîtresse. Elle est envoyée en prison. James Monk, juge en chef de la nouvelle cour du banc du roi du district de Montréal, statue qu’il y a un flagrant manque de clarté de la législation entourant la possession d’esclaves. Il décide alors de libérer Charlotte Trim. Monk va encore plus loin et déclare que cette décision s’appliquera pour tout esclave fugitif qui va comparaître devant lui. Ce jugement est important, parce qu’il renverse complètement le rapport de forces entre propriétaires et esclaves. Le refus des tribunaux d’ici de reconnaître qu’une personne peut en posséder une autre contribuera à la disparition de la pratique de l’esclavage tant pour les personnes noires que pour les esclaves autochtones (Panis).
Évidemment, cette décision de Monk dérange les esclavagistes. C’est dans ce contexte que Joseph Papineau (père de Louis-Joseph Papineau) prendra la tête d’un groupe de législateurs pour présenter au Parlement un projet de loi pour donner un cadre légal à la pratique de l’esclavage. Cependant, leur législation sera repoussée et mourra au feuilleton.

FIN DE L’ESCLAVAGE
Sur le territoire actuel du Québec, il n’y a pas vraiment de date officielle de la fin de cette pratique. On parle plutôt d’une disparition de l’esclavage et non d’une abolition. C’est à la suite d’événements amorcés par la fuite de Charlotte que l’esclavage s’atténue, puis disparaît.
La pratique disparaît aussi parce que le modèle économique ici ne reposait pas sur une production basée sur l’exploitation humaine comme dans les plantations américaines. Ces humains asservis l’étaient principalement en contexte domestique. On peut quand même retenir que l’abolition officielle de l’esclavage se fait le 1er août 1834 dans tout l’Empire britannique.

CHEMIN DE FER CLANDESTIN
Avant 1850, les esclaves qui s’échappaient des plantations du sud des États-Unis migraient vers les États du Nord pour retrouver leur liberté. Après l’adoption de la Loi des esclaves fugitifs (1850), ces personnes risquaient d’être capturées par les chasseurs d’esclaves même au nord du pays. L’Amérique du Nord britannique, où l’esclavage est interdit, deviendra une destination courante, puisque sa longue frontière offre de nombreux points d’accès aux gens en fuite.
Ce réseau d’entraide de personnes noires et blanches qui aideront à extirper les individus en esclavage des plantations du sud des États-Unis prendra le nom de chemin de fer clandestin. Même si les fugitifs pouvaient parfois s’échapper par les rails, aucun chemin de fer n’était impliqué dans ce réseau, c’était une métaphore. Au cours du 19e siècle, entre 30 000 et 40 000 personnes ont trouvé refuge sur le territoire de l’Amérique du Nord britannique grâce à ce réseau.
