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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

La fin (et non l’abolition) de l’esclavage au Québec

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Photo portrait de Martin Landry

Martin Landry

2025-02-15T05:00:00Z
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Au Canada, le principal acte de résistance des esclaves, ce n’est pas la violence, non, c’est la fuite.

Fuir ou aider d’autres esclaves à gagner leur liberté: ce phénomène va s’accentuer en 1777, quand un certain nombre d’esclaves vont fuir l’Amérique du Nord britannique pour se cacher au Vermont, cet État américain ayant aboli l’asservissement des humains sur son territoire.

Cette publication de mars 1794 offre une récompense de 20$ pour la capture d’une personne esclavagée en fuite en Nouvelle‐Écosse.
Cette publication de mars 1794 offre une récompense de 20$ pour la capture d’une personne esclavagée en fuite en Nouvelle‐Écosse. Photo WEEKLY CHRONICLE

LÉGISLATION POUR ABOLIR L’ESCLAVAGE AU CANADA

À la fin des années 1700, on voit apparaître en Angleterre de plus en plus de campagnes contre l’esclavage. D’anciens esclaves comme Ignatius Sancho prennent la parole pour influencer l’opinion publique. On sent que l’attitude de la population libre de l’Amérique du Nord britannique commence tranquillement à changer face à cette réalité inhumaine.

Au Canada, il faut attendre 1793 pour qu’une première loi ouvre la voie à l’abolition graduelle de l’esclavage.

Poucettes de torture américaines, vers 1840-1860.
Poucettes de torture américaines, vers 1840-1860. Photo FIDUCIE DU PATRIMOINE ONTARIEN

Cette année-là, le loyaliste noir Peter Martin est témoin d’un incident violent qu’il rapporte lors d’une réunion du Conseil exécutif du Haut-Canada (Ontario). Il explique que Chloe Cooley, une femme asservie d’ascendance africaine, vient d’être rudement attrapée par son maître, l’esclavagiste Adam Vrooman. Elle a été ligotée, bâillonnée et transportée contre son gré de l’autre côté de la rivière Niagara pour être vendue à un Américain de l’État de New York. Malgré ses cris et sa résistance, Chloe Cooley n’a pas réussi à s’enfuir et a été vendue comme du bétail.

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Alexander Grant est le premier activiste noir au Bas-Canada. Il arrive des États-Unis en 1830, se lance en affaires et réussit financièrement. Il rassemble autour de lui des membres de la communauté noire. Ensemble, ils écrivent des lettres dans les journaux de Montréal pour s’exprimer sur la question de l’abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique.
Alexander Grant est le premier activiste noir au Bas-Canada. Il arrive des États-Unis en 1830, se lance en affaires et réussit financièrement. Il rassemble autour de lui des membres de la communauté noire. Ensemble, ils écrivent des lettres dans les journaux de Montréal pour s’exprimer sur la question de l’abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique. Photo du domaine public

Touché par cette histoire, le lieutenant-gouverneur du Haut‐Canada, John Graves Simcoe, décide d’intervenir. Il fait voter une loi rendant illégale l’arrivée d’esclaves sur le territoire du Haut‐Canada. La législation spécifie que les enfants nés de parents esclaves seront dorénavant libérés dès l’âge de 25 ans. La loi n’abolit pas l’asservissement humain, mais elle précise quand même que les esclaves qui migrent vers le Haut-Canada seront désormais considérés comme libres.

Ainsi, les personnes asservies et nées avant la loi vont le demeurer pour le reste de leur vie. Il y a donc des familles dont les parents sont en esclavage, le grand frère est aussi en esclavage, mais la petite sœur, admettons, elle, le sera seulement jusqu’à 25 ans.
Aly Ndiaye

Au Bas-Canada (Québec), on essaie d’adopter une loi similaire la même année, mais le lobby esclavagiste réussit à la bloquer. On avait déjà fait une tentative semblable pour abolir l’esclavage six ans auparavant, mais elle n’était pas passée, principalement parce que de nombreux hommes de loi étaient eux-mêmes des propriétaires d’esclaves.

Malgré tout, au début des années 1800, les tribunaux du Bas‐Canada se prononcent contre les propriétaires d’esclaves et libèrent les personnes qui ont été esclavagées.

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Finalement, le 25 mars 1807, la traite des esclaves est abolie dans l’Empire britannique. La pratique devient complètement illégale, autant l’achat que la vente d’êtres humains. Cependant, la loi ne rend pas illégales la détention ou l’exploitation des esclaves. Ce n’est qu’en 1834 que la pratique totale de l’esclavage est abolie partout dans l’Empire britannique. Notons que l’Île-du-Prince-Édouard l’avait déjà abolie en 1825.

Timbre de Postes Canada qui reconnaît la vie et l’héritage de Chloe Cooley ainsi que de tous ceux et celles qui ont été asservis au pays jusqu’en 1833. Il n'existe pas de photo de cette personne. Les représentations partagées dans les livres d'histoire de Chloé, Charlotte et William sont soit fictives ou hypothétiques.
Timbre de Postes Canada qui reconnaît la vie et l’héritage de Chloe Cooley ainsi que de tous ceux et celles qui ont été asservis au pays jusqu’en 1833. Il n'existe pas de photo de cette personne. Les représentations partagées dans les livres d'histoire de Chloé, Charlotte et William sont soit fictives ou hypothétiques. Photo POSTES CANADA

CHARLOTTE TRIM ET LE JUGE JAMES MONK

En février 1798, l’esclave noire Charlotte Trim fuit le domicile de sa maîtresse. Charlotte finit par être retrouvée, mais elle refuse catégoriquement de retourner chez sa maîtresse. Elle est envoyée en prison. James Monk, juge en chef de la nouvelle cour du banc du roi du district de Montréal, statue qu’il y a un flagrant manque de clarté de la législation entourant la possession d’esclaves. Il décide alors de libérer Charlotte Trim. Monk va encore plus loin et déclare que cette décision s’appliquera pour tout esclave fugitif qui va comparaître devant lui. Ce jugement est important, parce qu’il renverse complètement le rapport de forces entre propriétaires et esclaves. Le refus des tribunaux d’ici de reconnaître qu’une personne peut en posséder une autre contribuera à la disparition de la pratique de l’esclavage tant pour les personnes noires que pour les esclaves autochtones (Panis).

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Évidemment, cette décision de Monk dérange les esclavagistes. C’est dans ce contexte que Joseph Papineau (père de Louis-Joseph Papineau) prendra la tête d’un groupe de législateurs pour présenter au Parlement un projet de loi pour donner un cadre légal à la pratique de l’esclavage. Cependant, leur législation sera repoussée et mourra au feuilleton.

Possible portrait de Charlotte Trim. Il n'existe pas de photo de cette personne. Les représentations partagées dans les livres d'histoire de Chloé, Charlotte et William sont soit fictives ou hypothétiques.
Possible portrait de Charlotte Trim. Il n'existe pas de photo de cette personne. Les représentations partagées dans les livres d'histoire de Chloé, Charlotte et William sont soit fictives ou hypothétiques. Photo du domaine public

FIN DE L’ESCLAVAGE

Sur le territoire actuel du Québec, il n’y a pas vraiment de date officielle de la fin de cette pratique. On parle plutôt d’une disparition de l’esclavage et non d’une abolition. C’est à la suite d’événements amorcés par la fuite de Charlotte que l’esclavage s’atténue, puis disparaît.

La pratique disparaît aussi parce que le modèle économique ici ne reposait pas sur une production basée sur l’exploitation humaine comme dans les plantations américaines. Ces humains asservis l’étaient principalement en contexte domestique. On peut quand même retenir que l’abolition officielle de l’esclavage se fait le 1er août 1834 dans tout l’Empire britannique.

Maurice Duplessis et ses sœurs Marguerite, Jeanne, Etiennette et Joséphine-Gabrielle, 1897. De nombreux Québécois ont des ancêtres qui étaient asservis. Par exemple, on sait que Maurice Duplessis avait un ancêtre panis. «On a plein de personnes blanches qui ont des ancêtres noirs aussi qui ont été en esclavage ou libres. En fait, c’est plus présent qu’on se l’imagine.» — Aly Ndiaye
Maurice Duplessis et ses sœurs Marguerite, Jeanne, Etiennette et Joséphine-Gabrielle, 1897. De nombreux Québécois ont des ancêtres qui étaient asservis. Par exemple, on sait que Maurice Duplessis avait un ancêtre panis. «On a plein de personnes blanches qui ont des ancêtres noirs aussi qui ont été en esclavage ou libres. En fait, c’est plus présent qu’on se l’imagine.» — Aly Ndiaye Photo du domaine public

CHEMIN DE FER CLANDESTIN

Avant 1850, les esclaves qui s’échappaient des plantations du sud des États-Unis migraient vers les États du Nord pour retrouver leur liberté. Après l’adoption de la Loi des esclaves fugitifs (1850), ces personnes risquaient d’être capturées par les chasseurs d’esclaves même au nord du pays. L’Amérique du Nord britannique, où l’esclavage est interdit, deviendra une destination courante, puisque sa longue frontière offre de nombreux points d’accès aux gens en fuite.

Ce réseau d’entraide de personnes noires et blanches qui aideront à extirper les individus en esclavage des plantations du sud des États-Unis prendra le nom de chemin de fer clandestin. Même si les fugitifs pouvaient parfois s’échapper par les rails, aucun chemin de fer n’était impliqué dans ce réseau, c’était une métaphore. Au cours du 19e siècle, entre 30 000 et 40 000 personnes ont trouvé refuge sur le territoire de l’Amérique du Nord britannique grâce à ce réseau.

D’après James A. Banks, au cours du 19e siècle, environ 100 000 esclaves se sont échappés grâce au «Railroad», dont plus du tiers se sont rendus en Amérique du Nord britannique.
D’après James A. Banks, au cours du 19e siècle, environ 100 000 esclaves se sont échappés grâce au «Railroad», dont plus du tiers se sont rendus en Amérique du Nord britannique. Photo CHARLES T. WEBBER

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