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L'article provient de Le Journal de Québec
Culture

La dure réalité de l’itinérance autochtone

Photo Agence QMI, Joël Lemay
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Photo portrait de Marie-France Bornais

Marie-France Bornais

2021-10-23T04:00:00Z
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Fort du succès incontestable de son roman Kukum, prix littéraire France-Québec et grand succès de vente, l’écrivain innu et chef d’antenne à TVA, Michel Jean, propose une incursion dans la difficile réalité des itinérants montréalais d’origine autochtone dans son nouveau livre. Roman puissamment évocateur, bouleversant, Tiohtiá:ke parle d’ancrage et de déracinement, de vie et de mort, de parcours difficiles et de survie, d’un extrême à l’autre de la route 138.

Élie Mestenapeo, personnage principal du livre, sort de prison après avoir purgé une peine de dix ans pour le meurtre de son père, un homme alcoolique et violent. Sa communauté innue de Nutushkuan l’a banni. Il prend le bus, débarque à Montréal et se retrouve dans la rue.

Dans les rues et les parcs, il décou-vrira vite qu’il est vulnérable, mais qu’il n’est pas seul. Des gens d’autres nations – des Inuit, des Cris, des Atikamekw – sont venus comme lui s’échouer dans la métropole. Heureusement, Élie fera des rencontres déterminantes qui lui permettront de refaire sa vie et de retrouver sa dignité.

Tiohtiá:ke raconte, avec les mots justes et une grande intériorité, la réalité des Autochtones qui se regroupent dans leurs villes adoptives et reforment une communauté, à leur façon. Cette communauté qu’ils ont perdue. Ces territoires bien loin d’eux.

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À la mémoire de Raymond

« C’est un peu la suite de Kukum et d’Atuk, elle et nous. Tiohtiá:ke, c’est la réalité des Autochtones, une génération après Atuk », commente Michel Jean, en entrevue. 

« Le livre est dédié, entre autres, à Raymond Hervieux de Pessamit. On m’avait raconté – je ne sais pas si c’est vrai – qu’il avait fait de la prison et avait été banni de Pessamit. Quand il est sorti de prison, il n’avait nulle part où aller, donc, il s’est ramassé itinérant à Montréal. Sa famille est toujours venue l’aider, lui a envoyé de la bouffe, mais il n’est plus allé à Pessamit. »

C’était l’idée de départ du roman. « Ces gens-là viennent de quelque part. Je voulais aussi que les gens comprennent que souvent, on parle de la justice autochtone. Être banni du village, c’est pas comme la prison, peut-on penser. Mais quand les gens sont habitués à vivre en communauté, être coupé de ça, c’est très douloureux. »

Un gros châtiment qui fait en sorte qu’ils sont coupés de leur culture, de leur territoire, de leur ancrage. « Je voulais que les gens comprennent ce que ça représente pour ces gens-là. Ce qu’on ne sait pas et qu’on ne comprend pas, en temps normal. »

Michel Jean voulait également souligner que les Autochtones se retrouvent tous entre eux, à Montréal. Autour du square Cabot. « Ça se mélange entre nations, pour faire une grosse tribu : des Atikamekw, des Cris. Je voulais montrer que l’esprit de communauté se transpose en ville, ici. Différemment, mais ça existe. »

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Conséquence des pensionnats

Au fil de l’écriture, Michel Jean raconte comment les uns et les autres se sont retrouvés à Montréal, à la rue. L’affaire des pensionnats, les abus, les problèmes de violence, les problèmes socio-économiques font partie de la problématique. 

« Il y a des conséquences : c’est intergénérationnel. Mais j’ai quand même voulu mettre des bons modèles dans le livre. Je voulais montrer qu’il n’y a pas seulement des itinérants dans la rue, il y a aussi du monde qui travaille, qui fait du bénévolat pour aider. »

Michel a écrit pendant le confinement. Il a trouvé cela difficile, mais remet les choses en perspective. « Les itinérants étaient dans la rue quand même, pendant la pandémie. Leur vie n’a pas changé. En fait, ils avaient plus besoin d’aide parce qu’il y avait moins de monde qui leur donnait de l’argent. Il n’y avait plus de canettes à ramasser. Ç’a été plus dur pour les itinérants que pour bien du monde. »     

  • Michel Jean est chef d’antenne à TVA, animateur et reporter d’enquête primé et aimé du public québécois.    
  • Innu de Mashteuiatsh, il est l’auteur de huit livres. Il a aussi codirigé le recueil de nouvelles Pourquoi cours-tu comme ça ?  
  • En 2013, il a fait paraître Le vent en parle encore, réédité en grand format.    
  • Kukum, paru au Québec en 2019 et en France en 2020, est lauréat du prix littéraire France-
    Québec et finaliste du prix littéraire Jacques Lacarrière.    
  • Cet automne, il est allé à la foire du livre de Frankfort et à Bonn, en Allemagne. Il doit aller en France en décembre.        

EXTRAIT 

« Deux heures plus tard, le visage écrasé contre la vitre de l’autobus, Élie Mestenapeo regarde le paysage défiler sans le voir. À chaque arrêt, des gens montent et descendent. Les heures s’écoulent, les kilomètres filent et le décor change. La mer devient fleuve, passé Tadoussac, et le moteur du véhicule gronde en gravissant des montagnes comme Élie n’en a jamais vu. Après Québec---, l’autobus s’enfonce dans les terres et roule au milieu d’horizons vides. Trois heures plus tard, le cours d’eau qu’il enjambe sur le pont Jacques-Cartier n’est plus celui qu’Élie a connu sur la Basse-Côte. »

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