La corruption nuit à l’armée russe
Les détournements de fonds publics ont de graves conséquences sur les troupes de Vladimir Poutine


Martin Lavoie
Pour plusieurs observateurs, la guerre en Ukraine est motivée par le désir des autorités russes de repousser les frontières de la démocratie afin que les dirigeants du Kremlin puissent continuer à profiter de la corruption. Mais ces détournements de fonds publics qui permettent au président Poutine et à ses proches de vivre comme des tsars ont des conséquences graves sur leur propre armée. En voici quelques exemples.
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NOURRIS AUX ALIMENTS PÉRIMÉS ET CONTAMINÉS

Le site Politico a rapporté que dès le début de l’invasion de l’Ukraine, plusieurs récits ont fait état que l’armée russe utilisait des rations de nourriture périmée depuis... 2015.
Politico a rappelé que la plupart des fournisseurs d’aliments de l’armée russe sont liés à Evgueni Prigojine, ce qui a notamment valu à ce dernier le surnom de chef (cuisinier) du président Poutine.
Prigojine serait lié à l’usine à trolls de Saint-Pétersbourg responsable de campagnes de désinformation à l’intention de l’Occident et est soupçonné d’avoir fait de l’ingérence dans les élections américaines de 2016.
Il serait aussi le financier du groupe paramilitaire Wagner, des mercenaires réputés pour leur cruauté qui avaient eu le mandat d’assassiner le président ukrainien dès le début de l’invasion.
Politico ajoute que « la qualité de la nourriture et du logement dans l’armée russe serait pire que dans les prisons, avec des repas déraisonnablement petits et certains porteurs de bactéries Escherichia coli nocives ».
UN DÉFENSEUR SANS DÉFENSE

Le 14 avril, l’armée ukrainienne a réussi ce qui paraissait impossible ; couler le croiseur Moskva, le plus puissant navire russe de la mer Noire.
Pour y parvenir, les Ukrainiens ont utilisé un drone Bayraktar pour localiser le fer de lance russe, attirer son attention et ensuite l’attaquer avec deux missiles Neptune. Lorsque la nouvelle a été confirmée, des observateurs se sont demandé comment il se faisait que les radars antimissiles du Moskva ne soient pas parvenus à contrer l’attaque.
« Les systèmes radars antimissiles qui auraient dû être mis à jour ne l’ont pas été parce que les fonds ont été détournés », explique Yann Breault, professeur assistant au Collège militaire royal de Saint-Jean et spécialiste de la politique étrangère russe.
UN BOUCLIER RÉACTIF INACTIF

Une armure réactive est un élément important de protection des chars d’assaut qui en sont équipés. Elle consiste en des briques ou des tuiles contenant un explosif et qui recouvrent le tank.
Si celui-ci est attaqué, la tuile qui sera touchée explosera, ce qui normalement annulera l’effet de la roquette ennemie... si l’explosif est bien en place.
« Des Russes ont vendu les explosifs à l’intérieur des briques. Les tanks arrivent sur le terrain et ils sont censés avoir une protection, et finalement la protection ne fonctionne pas », raconte Yann Breault.
UNE VIEILLE TRADITION

Selon Michel Roche, professeur en science politique à l’UQAC et spécialiste de la Russie, la corruption dans cette partie du globe a commencé vers 1960 sous l’ère soviétique, et est allée en croissant dans les années 1980 jusqu’à l’explosion du bloc de l’Est.
La corruption, « ça handicape l’économie (russe), l’armée, ça pourrit absolument tout. Quand le régime soviétique était en train de s’effondrer, des officiers de l’armée, des généraux vendaient des chars d’assaut. Ils valaient à peu près un million de dollars et ils les vendaient 50 000 $ à des pays comme l’Iran pour leur propre compte à eux ».
« La corruption a contribué à affaiblir ce qui restait de l’armée », a expliqué M. Roche.
UN PRODUCTEUR DE PÉTROLE À SEC

Selon les économistes, 30 % du PIB de la Russie est lié à sa production pétrolière.
Pourtant, le troisième producteur mondial peine à fournir son armée en carburant.
Le site Politico a rappelé une nouvelle de l’agence russe Tass selon laquelle trois militaires russes avaient été condamnés en 2019 à des peines d’un an et demi à 5 ans et demi de prison pour un vol de 126 tonnes de pétrole (environ 150 000 litres, soit un plein d’essence de 50 litres par semaine durant 58 ans).
Politico rapporte aussi une étude russe de 2017 selon laquelle l’armée obtient annuellement un approvisionnement de 2 millions de tonnes « mais ne dispose pas de données sur la manière dont cette somme colossale est dépensée ».
DES DRONES BRIC-À-BRAC

Dans deux vidéos sur YouTube, des drones Orlan-10 russes tombés aux mains de l’armée ukrainienne sont démantelés. On y voit qu’une bouteille d’eau minérale en plastique sert de réservoir de carburant. La caméra thermique et le radio-transmetteur qui devrait les équiper ont été remplacés par une caméra Canon Rebel.
Des modèles de milieu de gamme destinés aux photographes amateurs. L’armée russe doit donc récupérer ces drones pour lire la carte mémoire plutôt que de pouvoir lire les images en direct et à distance. Un effet des mesures économiques prises à l’encontre de la Russie?
Le Moscow Time, un média russe indépendant de langue anglaise opérant aux Pays-Bas depuis mars, avance une autre explication. Une affaire de pots-de-vin de 9,5 millions de $ a éclaté l’an dernier avec un fournisseur de pièces électroniques du fabricant de drones. Une valise contenant un million de $ aurait même été saisie par les autorités russes.
HAUTE TECHNOLOGIE, PAS CONTRE LES INCENDIES

Un incendie dans un institut de recherche pour la défense à Tver, en Russie, a fait 22 morts le 21 avril. C’est là où notamment a été développé le missile Iskander. Selon le Moscow Times, les enquêteurs de la Ville recherchent les responsables de la sécurité incendie, qui aurait été déficiente ou absente, alors que l’armée enquête sur des détournements sur les fonds alloués pour le développement d’armes.