Correspondance américaine: les États-Unis sont «vraiment une oligarchie», selon un Texan


Sarah-Florence Benjamin
Comment les Américains vivent-ils la deuxième présidence de Donald Trump? Quels sont les impacts de son retour à la Maison-Blanche sur le quotidien (et le moral) de nos voisins du Sud? Pour le savoir, notre reporter Sarah-Florence Benjamin entame une correspondance avec des Américains de divers horizons qui lui racontent leur vie au royaume de Trump.
- PRÉNOM: Jordan*
- LIEU DE RÉSIDENCE: Texas
- ÂGE : 32 ans
- OCCUPATION: Enseignant de musique
- DATE DE LA CORRESPONDANCE: 8 avril 2025
Comment le résultat de la dernière élection t’affecte-t-il personnellement?
«Je suis enseignant de musique, mais je cherche un autre travail en ce moment. Ça m’inquiète beaucoup, ce qui va se passer avec le département de l’Éducation. Trump et ses associés veulent le supprimer, ce qui est de la folie à mon avis. Ça [l’éducation publique] devrait être un droit, non?
Je pense qu’ils vont faire tellement de coupures et de changements que le secteur de l’éducation ne fonctionnera plus et ce sera une excuse pour tout privatiser. Ça veut dire qu’il deviendrait très religieux, ça me fait peur.
Et les enseignants en musique sont toujours dans les premiers à se faire couper. Je m’attends à ce que mon emploi n’existe plus d'ici quelques années si Trump arrive à ses fins.»
Comment le résultat de la dernière élection a-t-il affecté tes relations avec les autres?
«Ç’a définitivement eu un effet sur mon lieu de travail. Je suis dans un district assez conservateur. La plupart de mes collègues gardent leurs opinions pour eux, mais, de temps en temps, quelqu’un va clamer haut et fort ses croyances et elles sont assez incendiaires.
Il y a des gens dans mon district qui sont totalement contre l’existence des enfants trans, une idée à laquelle le Parti républicain s’est accroché. Je suis fier d’être inclusif et d’accepter tous mes élèves et c’est difficile de voir des gens faire exprès de les deadnamer [utiliser leur ancien prénom qui ne correspond pas à leur identité de genre].»
Que penses-tu des tarifs «réciproques» annoncés par Trump en début avril?
«Je pense que c’est insensé. C’est un jeu de pouvoir qui va finir par lui éclater au visage.
Je ne pense pas que la majorité des gens était bien informée à propos du fonctionnement des tarifs (...) Le fait qu’une partie de ces gens ne savaient pas pourquoi ils votaient me parait assez stupide, mais ça représente bien la politique américaine.
Il [Trump] essaie d’utiliser la force pour nous faire payer plus pour les importations, dont nous dépendons dans une large mesure. Il n’y a plus beaucoup de choses qui sont fabriquées aux États-Unis. Nous avons beaucoup évolué dans le secteur manufacturier par rapport à ce qu’il était il y a 50 ans.»
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Que penses-tu de la présence d’autant de multimilliardaires dans l’entourage de Donald Trump?
«On a vu Jeff Bezos [d'Amazon], Mark Zuckerberg [de Meta ]et Elon Musk [de Tesla et Space X] assis là où il y aurait dû y avoir les anciens présidents lors de l’inauguration de Trump. C’est comme de jeter la cérémonie aux poubelles et d'admettre ouvertement que nous sommes gouvernés par les milliardaires et les entreprises. C’était vraiment de la merde!
On a l’impression de revenir dans les années 20, quand les magnats de l’économie nous ont dépouillés de notre droit du travail et qu’on va devoir tout reconstruire après une nouvelle Grande Dépression.»

Qu’est-ce que les gens à l’extérieur ne comprennent pas nécessairement à propos des États-Unis?
«Les gens qui ont élu Donald Trump ne sont pas la majorité des citoyens américains. Il y a eu d’énormes manifestations à travers le pays contre des politiques qu’il a essayé de mettre en place.
C’est très étrange que le jour des élections ne soit pas un jour férié aux États-Unis. Tellement de gens ne peuvent pas voter, parce qu’ils ne peuvent pas prendre congé. Notre gouvernement est structuré pour priver les gens de leur droit de vote parce que ça avantage le parti le plus conservateur, que ce soit par le découpage électoral, les exigences pour avoir le droit de vote ou les tactiques pour limiter les lieux où on peut voter.
Je ne veux pas que l’image du peuple américain soit celle de notre gouvernement. C’est vraiment une oligarchie et nous ne sommes pas les mêmes.»
— La lettre a été traduite par l’autrice de ces lignes
*Jordan n'a pas voulu transmettre de photo craignant des conséquences négatives sur son emploi.