La Caisse pas aussi verte qu’elle le dit
Elle a voté très souvent contre des résolutions environnementales lors d’assemblées d’actionnaires


Sylvain Larocque
Quand vient le temps de joindre la parole aux gestes en matière de lutte aux changements climatiques, la Caisse de dépôt et placement du Québec n’est pas aussi « verte » qu’elle le prétend, soutient une étude.
L’an dernier, la Caisse a voté dans une proportion de 67 % contre des résolutions à caractère environnemental présentées lors d’assemblées annuelles de banques canadiennes ainsi que d’entreprises nord-américaines des secteurs des hydrocarbures, de la fabrication et du commerce de détail, révèle une analyse produite récemment par l’organisme britanno-colombien Investors for Paris Compliance (I4PC).
« Honnêtement, nous avons été surpris de cette conclusion. Si nous avions eu à parier, nous aurions dit que la Caisse aurait été un leader dans ce domaine », a déclaré au Journal Kyra Bell-Pasht.
I4PC a passé au crible 19 des 36 gestionnaires d’actifs canadiens qui sont membres de l’initiative mondiale Climate Action 100+.
L’objectif de ce groupe d’investisseurs institutionnels est de faire pression sur les entreprises les plus polluantes du monde pour qu’elles réduisent significativement leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) afin d’assurer le respect des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, signé en 2015.
Bâtirente, un modèle
D’autres investisseurs québécois ont fait bien meilleure figure dans l’étude : Bâtirente, un régime de retraite affilié à la CSN, ne s’est opposé à aucune des 23 résolutions examinées par I4PC. C’est le seul investisseur canadien à avoir obtenu une note parfaite.
La firme montréalaise Addenda Capital s’est également distinguée en ne votant que contre 23 % des résolutions en question.
De son côté, Desjardins Gestion internationale d’actifs a voté contre 41 % des résolutions.
Dans l’ensemble du Canada, le pire cancre est la firme torontoise Beutel Goodman, qui s’est prononcée contre 91 % des résolutions.
Dans plusieurs cas, les grands investisseurs ont fidèlement suivi les recommandations formulées par les agences de conseil en vote américaines ISS et Glass Lewis, relève Investors for Paris Compliance dans son rapport.
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« Accompagnement »
« Notre équipe d’experts examine avec sérieux chaque proposition d’actionnaires concernant le climat », a assuré au Journal une porte-parole de la Caisse, Kate Monfette, en laissant toutefois entendre que la Caisse accordait une importance relative aux votes lors des assemblées annuelles.
Porte-parole
de la Caisse
« En matière de stratégie climatique, nous privilégions l’accompagnement de nos entreprises en portefeuille pour générer des résultats concrets, en fonction des capacités et de la réalité de chacune », a précisé Mme Monfette.
En 2021, la Caisse dit avoir discuté de questions environnementales, sociales ou de gouvernance (ESG) avec 194 entreprises dans lesquelles elle a investi, contre 112 en 2020.
« Thé et biscuits »
Mme Bell-Pasht doute toutefois de l’utilité réelle de ces discussions, que des militants britanniques ont ridiculisées en les qualifiant d’échanges sans conséquence où l’on savoure « du thé et des biscuits ».
« Il y a cette culture de la politesse » où les investisseurs suggéraient aux entreprises de prendre des mesures pour réduire leurs émissions de GES en les menaçant gentiment d’un vote négatif à la prochaine assemblée annuelle, souligne la spécialiste.
« Mais sur la question du climat, on sent que les choses sont en train de changer », estime-t-elle.
« J’ai bon espoir que la Caisse va faire évoluer ses pratiques, ajoute Kyra Bell-Pasht. J’ai hâte de voir comment elle va voter cette année. C’est une institution qui a été progressiste sur d’autres aspects de l’action climatique. »
La Caisse et le climat
- 67% de votes négatifs à l’égard d’un échantillon de 23 résolutions à caractère environnemental déposées lors d’assemblées annuelles d’entreprises en 2022
- 41 tonnes d’émissions en équivalent CO2 par million de dollars d’investissement en 2021
- 39 milliards$ d’actifs « sobres en carbone » en 2021
Sources : CDPQ, I4PC
Un bilan carbone néanmoins enviable
Avant même d’avoir complété son retrait du secteur pétrolier, l’an dernier, la Caisse de dépôt et placement du Québec affichait déjà un bilan carbone enviable.
En 2021, l’institution estimait que les émissions de CO2 associées à son portefeuille atteignaient 41 tonnes par million de dollars investi, soit 48 % de moins que les 79 tonnes calculées en 2017.
Selon la Caisse, 40 % de ces émissions provenaient de la production d’électricité au moyen d’hydrocarbures.
Moins de charbon
À titre de comparaison, l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada a évalué à au moins 46 tonnes ses émissions de CO2 par million de dollars investi en date du 31 mars 2022.
La Caisse précise par exemple avoir offert du soutien aux producteurs d’électricité AES Indiana (États-Unis) et Apraava (Inde) pour réduire leur consommation de charbon.
Le bilan de la Caisse sera probablement encore meilleur en 2022 puisque l’institution a conclu la vente de toutes ses actions dans des entreprises pétrolières au printemps dernier. La Caisse en avait pris l’engagement dans le cadre d’une stratégie climatique présentée à l’automne 2021.
Pour 2030, l’institution s’est fixé l’objectif d’atteindre la cible de 32 tonnes de CO2 par million de dollars investi.
Un objectif de 54 milliards $ en 2025
Pour y arriver, la Caisse compte notamment poursuivre ses investissements dans le secteur des énergies renouvelables.
Elle vise un portefeuille d’actifs « sobres » en carbone d’une valeur de 54 milliards $ en 2025, contre 39 milliards $ en 2021 et 18 milliards $ en 2017.