La Baie d’Hudson: la plus vieille business d’Amérique disparaît!
L’aventure a commencé il y a 355 ans


Mathieu-Robert Sauvé
Plus vieille entreprise d’Amérique du Nord et l’une des plus anciennes au monde, la Hudson Bay Company (La Baie d’Hudson) a été fondée à Londres en 1670 par deux coureurs de bois français, Pierre Radisson et Médard des Groseillers. Sa faillite emporte une partie du Canada.
«C’est une histoire rocambolesque, lance Gilles Laporte qui en a retracé les grandes lignes dans son site web Histoire du Québec. Cette compagnie a été si puissante qu’elle possédait à un certain moment la moitié du Canada actuel, y régnant en roi et maître. Plusieurs postes de traite installés à l’époque du commerce de la fourrure sont devenus des villages, notamment en Abitibi: Amos, Senneterre, Fort-Témiscamingue...»

C’est après s’être fait arnaquer par le gouverneur français Pierre de Voyer d’Argenson que Radisson a l’idée de s’associer aux Anglais pour fonder une entreprise capable de transiger avec les commerçants du Nouveau-Monde. Il cherche un moyen de transporter jusqu’en Europe les milliers de peaux de castor qu’on y trappe. Il s’allie à son compatriote des Groseilliers et de cette association naîtra une compagnie par actions qui fera la fortune de ses ayants droit.
Londres leur concède un territoire vaste comme un pays d’Europe, qui inclut l’Ontario actuel, de même que le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et une partie des Territoires du Nord-Ouest, c’est-à-dire près de 4 millions de km2.

Le commerce de la fourrure
Après avoir eu raison de ses compétiteurs comme la Compagnie du Nord-Ouest, la Hudson Bay Company (dont le nom sera francisé beaucoup plus tard) permettra l’exploration des moindres parcelles du futur Canada, jusqu’en Alaska.
Après la chute du Régime français en 1763, elle étend son réseau vers l’Ouest.
L’historien Laporte souligne que le commerce de la fourrure n’a pas pris fin avec le régime français; il y a eu une explosion de la demande jusqu’au milieu du 19e siècle. «On apprend tous à l’école que le commerce de la fourrure a disparu assez tôt dans notre histoire. Erreur. La fourrure de castor a longtemps été très en vogue en Europe. Mais le commerce ne passait plus par Montréal. On naviguait directement par la baie d’Hudson.»

Acheter par catalogue
C’est la Compagnie de la Baie d’Hudson qui a introduit l’achat par catalogue en permettant aux consommateurs de choisir leurs produits et de se les faire livrer à un point de vente, qui se trouvait à être très souvent un ancien poste de traite.
Puis, elle a étendu son offre commerciale en créant les premiers magasins à rayons dans plusieurs grandes villes canadiennes. À Winnipeg, elle ouvre un centre commercial de ce type dès 1881.

Quand la fusion avec la Compagnie du Nord-ouest est scellée en 1821, La Baie continue son expansion et elle acquiert le magasin Morgan, sur la rue Sainte-Catherine à Montréal, qu’elle transforme en La Baie en 1972.
La compagnie passe à des intérêts américains en 2008. Avec des dettes de plus de 950 M$, elle a annoncé la liquidation de ses biens la semaine dernière.
«C’est sûr que c’est triste! C’est un mode de vie qui disparaît», soupire M. Laporte.
Les «couvertures à points» quatre-couleurs
Inspirée de couvertures de laine datant de 1779 commercialisées par la Compagnie de la Baie d’Hudson, la «couverture à points» est une icône du commerce au détail canadien.
À sa création, cette couverture produite dans les usines de textile anglaises constitue plus de 60% des échanges avec le marché nord-américain (autochtones et colons). Les quatre couleurs (rouge, bleu, vert et jaune) symbolisent différents aspects du territoire. Les autochtones les adorent et ont leurs préférences en matière de couleurs; le rouge est prisé dans l’ouest et le vert dans l’est; les Inuits préfèrent les blanches plus utiles pour le camouflage. À l’époque du troc, une couverture vaut une peau de castor!
Devant le succès de ce produit, on en fera de multiples variantes, dont des manteaux, des mitaines et des tuques (aujourd’hui des casquettes). Les couvertures à points deviendront des objets échangés dans le cadre de potlatchs.