L’écrivaine néo-écossaise Amanda Peters raconte l’histoire bouleversante d’une famille mi'kmaq dans son roman primé
«La sœur disparue»


Marie-France Bornais
Premier roman choc de l’écrivaine néo-écossaise mi’kmaq Amanda Peters, La sœur disparue raconte l’histoire bouleversante d’une famille mi’kmaq du sud de la Nouvelle-Écosse qui migre chaque été sur les côtes du Maine pour récolter des baies sauvages. La plus jeune, Ruthie, disparaît mystérieusement. L’amour, la solidarité, la quête de vérité, le courage sont des forces dans lesquelles tous puisent pour surmonter des traumatismes.

Amanda Peters débute son histoire à l’été 1962. Une famille mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse arrive dans le Maine pour la cueillette des baies. La région est réputée depuis toujours pour son abondance de bleuets sauvages, et il faut bien des mains pour les récolter à temps.
Quelques semaines plus tard, la plus jeune de la famille, qui n’a que 4 ans, disparaît de façon mystérieuse. Joe, l’aîné, est le dernier à avoir vu la petite Ruthie. La perte de sa sœur cadette, dont il se sent responsable, bouleverse complètement sa vie.
En parallèle, dans le Maine, Norma grandit comme fille unique d’une famille aisée, auprès d’une mère surprotectrice et d’un père émotionnellement distant. La nuit, elle fait des rêves récurrents qui semblent vraiment réels. En grandissant, elle commence à comprendre que de nombreux secrets émaillent sa vie de famille.
Ce que son père lui racontait
«Mon père et les membres de sa famille étaient des cueilleurs de baies dans les années 1960 et 1970, explique Amanda Peters en entrevue. Mon père est le 10e enfant d’une famille de 14 enfants. Ceux qui étaient à la maison pendant l’été partaient pour le Maine. Ma grand-mère et mon grand-père les faisaient tous monter à bord de leur camion, puis ils partaient pour le Maine ramasser des baies.»
«Ils faisaient ainsi assez d’argent pour acheter les fournitures scolaires et passer à travers l’hiver. Mon père me racontait toutes ces histoires.»
«La sœur disparue est une œuvre de fiction: c’est le fruit de mon imagination. Mais toutes les histoires folles me viennent de mon père: les détails sur la cueillette, les feux de camp...» ajoute l’écrivaine, qui s’est inspirée de la région de Bear River, où est campée une partie de l’histoire.
Une disparition fictive
La disparition de Ruthie est également inventée par l’écrivaine, qui a cependant appris plus tard qu’un enfant avait été porté disparu dans les champs de cueillette de baies, en Nouvelle-Écosse, à peu près à la même époque. «Je ne le savais pas, et c’est toute une coïncidence. S’il y a des faits qui ressemblent à la réalité, c’est totalement accidentel», précise-t-elle.
Pour ce premier roman, Amanda Peters souhaitait tout simplement écrire une bonne histoire que les lecteurs allaient apprécier. «Je voulais que mes parents soient fiers de moi!» ajoute-t-elle.
«Je ne pensais pas que beaucoup de gens allaient la lire... donc je l’ai écrite avec mon cœur. Par la suite, les gens ont dit que le livre parlait des femmes autochtones assassinées et kidnappées. C’est le cas. Mais dans mon esprit, je ne voulais qu’écrire une bonne histoire.»
«Je pense que plusieurs thèmes qui apparaissent dans le livre sont liés à mon travail auprès des Premières Nations et des survivants des pensionnats autochtones.»
Un cercle de parole
Amanda Peters, aujourd’hui professeur à l’université Acadia, a aussi travaillé dans le domaine des soins de la santé, auprès des Premières Nations. «On m’a invitée à m’asseoir avec des survivants des pensionnats qui partageaient leur histoire.»
«Je me suis assise dans le cercle et je me souviens qu’une femme me tenait la main et que je pleurais en l’écoutant raconter son histoire. J’étais dévastée, et elle était tellement forte. Cette femme mi’kmaq est décédée maintenant, mais elle a écrit un livre au sujet du pensionnat de Shubenacadie.»
La sœur disparue
Amanda Peters
Éditions Hashtag
352 pages
- Amanda Peters est une écrivaine d’origine mi’kmaq (Glooscap First Nation) et vit en Nouvelle-Écosse.
- Elle est titulaire d’un certificat en création littéraire de l’Université de Toronto et d’une maîtrise en beaux-arts.
- Elle est lauréate du prix Indigenous Voices 2021.
- Elle a reçu la médaille d’excellence Andrew Carnegie, a été finaliste au prix Atwood Gibson et au prix découverte Barnes & Noble.
- Dans sa version originale anglaise, The Berry Pickers a figuré sur les listes des meilleurs livres de CBC Books et du magazine The New Yorker en 2023.
- Elle est professeur à l’université Acadia de Wolfville, en Nouvelle-Écosse.
«Ce jour-là, Ruthie et moi étions assis sur notre petit rocher en marge du champ. Nous aimions rester là alors que les garçons faisaient des tours pendant les quelques minutes de liberté, se faufilaient jusqu’au lac pour une baignade rapide ou pour voler un baiser à l’une des filles. Mae était déjà en train de préparer le souper, généralement des pommes de terre et de la viande préparées à l’extérieur sous le soleil couchant. Comme il fallait nourrir tout le campement, ça prenait du temps pour éplucher toutes ces pommes de terre.»
–Amanda Peters, La sœur disparue, Éditions Hashtag
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