L’armée canadienne a besoin de l'aide de 12 alliés pour défendre un tout petit pays d'Europe
L’essentiel de notre matériel et de nos soldats aptes au combat est posté aux portes de la Russie, en Lettonie

Anne Caroline Desplanques
Notre armée est-elle aussi faible que Donald Trump le laisse entendre? Le président américain reproche au Canada de ne pas investir suffisamment sur le plan militaire. Pendant ce temps, l’essentiel du matériel et des soldats aptes au combat des Forces armées canadiennes est posté aux portes de la Russie, en Lettonie. Notre Bureau d’enquête s’est penché sur notre engagement dans ce pays afin de faire le point sur l’état de nos troupes.
Donald Trump martèle qu’avec sa «petite armée», le Canada dépend des États-Unis pour se défendre. Et il n’a pas tort. Nous investissons si peu en défense que nos forces ont besoin de l’aide de 12 alliés pour protéger un tout petit pays européen de moins de deux millions d’habitants.
La Lettonie, coincée entre la mer Baltique et la Russie, est le seul pays au monde où on trouve encore des soldats canadiens en nombre. 1900 d’entre eux s’y relaient en permanence. Nos gradés y dirigent une mission de l’OTAN, appelée «opération Réassurance», dont l’objectif est d’empêcher une invasion russe comme celle qui dure depuis maintenant trois ans en Ukraine.
«J’ai été déployé à plusieurs reprises et c’est la première fois que je participe à une opération qui peut empêcher un conflit d’arriver», se réjouit le lieutenant-colonel Francis Lavoie, du quartier général de la Force opérationnelle de l’OTAN, à Riga, la capitale lettonne.
Notre Bureau d’enquête s’est penché sur l’engagement du Canada en Lettonie, car il donne une bonne idée de l’état de notre armée un an après que Donald Trump a menacé d’encourager la Russie à attaquer les membres de l’OTAN qui n’investissent pas suffisamment en défense. Le Canada a consacré 1,37% de son PIB à la défense en 2024, selon l’alliance dont le plancher est de 2%. Nous sommes sous ce plancher depuis 1990.
Dépenses en défense en proportion du PIB (%)
Sur la base des prix et taux de change de 2015
* Ces alliés ont des lois ou des engagements politiques demandant que minimum 2% du PIB soit dépensé en défense annuellement.
Notre mission en Lettonie projette-t-elle suffisamment de puissance? Justin Massie, codirecteur du Réseau d’analyse stratégique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), en doute. Pour lui, le Canada n’a pas les capacités nécessaires pour diriger cette opération.
Manque de matériel et de soldats
«Notre engagement en Lettonie expose les limites des Forces armées canadiennes (CAF)», renchérit le président de l’Institut canadien des affaires étrangères, David Perry, qui pointe le manque d’équipement et de soldats pour assurer une présence solide sur place.
Par exemple, nous ne pourrions pas assurer seuls la protection navale et aérienne de nos soldats au sol en cas de bombardements, puisque nous n’avons pas suffisamment d’avions de chasse ou de navires de combat pour en déployer dans le secteur, indique M. Massie.
Même pour se protéger de drones kamikazes, nos soldats dépendaient, jusqu’à tout récemment, de l’équipement de leurs collègues italiens. Afin d’y remédier, la Défense nationale a commandé une batterie de défense aérienne en urgence.
«C’est une défense collective, modère le lieutenant-colonel Lavoie. Chacun arrive avec sa capacité. Par exemple, nous on est arrivé avec nos chars d’assaut. Les Italiens n’en ont pas. On a des radars pour détecter les menaces aériennes que les Italiens n’ont pas.»

Trump pourrait tenter Poutine
Il souligne que le caractère multinational de l’opération fait justement sa force: «Si la Russie attaquait ici, elle attaquerait la moitié de l’OTAN d’un coup sec. Ce serait une décision stratégique extrême de leur part».
Tant que les Russes sont embourbés en Ukraine, une attaque est «hautement improbable», estime M. Massie. Toutefois, le scénario pourrait rapidement changer advenant un cessez-le-feu entre Kyïv et Moscou et une volonté russe de tester l’OTAN maintenant que les États-Unis ont un président qui remet en doute l’alliance.
De quoi donner des sueurs froides aux Lettons puisqu’«il n’est pas clair que le contingent serait capable de stopper une attaque tous azimuts de la Russie», même en combinant les forces des treize nations présentes, s’inquiète M. Massie.

701 703 400$
C’est ce que le Canada a dépensé pour assumer sa mission en Lettonie depuis 2017, indique le ministère de la Défense, et le compteur continue de tourner. Que faut-il en penser?
«C’est beaucoup moins que ce que coûterait une guerre. Il faut le voir comme une police d’assurance. Ça me semble complètement raisonnable par rapport aux bénéfices d’assurer la paix. Assurer la paix en Europe, c’est assurer la paix au Canada et la stabilité économique mondiale», explique M. Massie.
En comparaison, le Canada a dépensé environ 18 milliards $ pour se battre en Afghanistan et tenter de reconstruire le pays. 158 de nos soldats y ont été tués et plus de 2000 y ont été blessés.