L'administration Trump sonde les coeurs et les esprits des agences humanitaires

AFP
L’administration de Donald Trump a envoyé aux agences des Nations unies et à des ONG un questionnaire que les récipiendaires perçoivent comme un test de loyauté, qui pose des questions sur d’éventuels « liens communistes » ou un soutien à l’« idéologie de genre ».
• À lire aussi: Le gel des médias publics américains à l'étranger menace «la sécurité» de leurs journalistes, selon RSF
• À lire aussi: Signées avec un «autopen»: Donald Trump affirme que des grâces accordées par Joe Biden ne sont pas valides
« Je ne pense pas que nous n’ayons jamais reçu quelque chose de ce genre », dit un employé d’une grande organisation humanitaire à l’AFP, sous couvert d’anonymat, évoquant la liste de 36 questions envoyée par les États-Unis, dans le cadre de leur passage en revue de l’aide à l’étranger, jusque-là la plus généreuse du monde.
Sa suspension et les suppressions de fonds déjà décidées provoquent un séisme dans le monde de l’aide humanitaire.
Le questionnaire, obtenu par l’AFP, comprend des questions classiques de donateurs, mais d’autres sonnent plus comme un test d’adhésion aux priorités idéologiques du président américain.
Ainsi, une question porte sur « un quelconque financement de la part de la Chine, de la Russie, de Cuba ou de l’Iran », une autre sur d’éventuels « éléments DEI » ou « Diversité, équité et inclusion ». La bête noire de Donald Trump.
Il faut aussi confirmer que l’organisation ne travaille pas « sur un projet climatique ou de “justice environnementale” » et qu’elle prend « les mesures appropriées pour protéger les femmes et se défendre contre l’idéologie de genre ».
Et l’administration Trump veut savoir si les récipiendaires travaillaient avec « des entités associées à des partis communistes, socialistes ou totalitaires, ou tout parti qui exprime des croyances antiaméricaines ».
« Autoritaire »
« Autoritaire ou antiaméricaine (.., ironiquement, c’est une description assez précise de l’administration Trump », lance Phil Lynch, le chef du Service international pour les droits de l’homme [ISHR], dans un échange avec l’AFP.
Son organisation a “refusé de répondre” au questionnaire, ajoutant : “Nos subventions du gouvernement américain ont été supprimées”.
Comme l’ISHR, de nombreuses ONG, agences des Nations unies, la Croix-Rouge et d’autres grands acteurs de l’humanitaire ont confirmé à l’AFP avoir reçu le questionnaire. Il a provoqué un choc.
“Il est normal d’envoyer un questionnaire aux personnes à qui vous donnez de l’argent... mais [ce questionnaire] ne semble pas être adapté au secteur humanitaire”, juge une haute fonctionnaire d’une grande organisation internationale d’aide, ayant également requis l’anonymat.
“Ce que nous trouvons très problématique, c’est qu’il y a beaucoup de questions autour de certains objectifs politiques”, ajoute-t-elle.
Lucica Ditiu, la directrice de STOP TB, une ONG de lutte contre la tuberculose, estime que c’est le droit d’un donateur de “voir la façon dont son financement est utilisé”.
Les aides américaines constituent environ la moitié du budget de cette organisation, qui a décidé de répondre en assurant que les fonds américains ne seraient pas alloués à des “travaux liés à la DEI”, et elle a l’espoir que d’autres donateurs permettront de continuer à œuvrer dans ce domaine.
«Pas clair»
Nombre des récipiendaires sont tiraillés entre ne pas répondre et perdre des fonds précieux au risque de ne plus pouvoir remplir leur mission ou sacrifier leurs principes.
“Quelles que soient les implications financières, l’ISHR ne renoncera pas à son engagement de principe envers les droits de l’homme et l’état de droit, ainsi qu’aux valeurs telles que la diversité, l’égalité et la justice”, insiste M. Lynch.
Une grande organisation internationale d’aide a dit avoir choisi de répondre, mais non sans réserves.
“Si nous sommes perçus comme un instrument de la politique étrangère américaine, cela compromettra encore davantage notre travail”, explique le haut fonctionnaire.
Côté ONU, son porte-parole, Stéphane Dujarric, souligne que les agences qui ont reçu le questionnaire répondront “conformément à leurs règles respectives”.
Un porte-parole de l’Onusida, dont le budget était pour moitié assuré par les États-Unis, a confirmé que cette agence avait reçu “plusieurs questionnaires différents”.
“Nous répondons à chaque fois”, dit-il.
Les délais pour répondre semblent varier. Une grande organisation d’aide a déclaré que la date butoir pour répondre tombait le jour même où le secrétaire d’État américain Marco Rubio annonçait que le passage en revue de l’aide était achevé.
“Si l’examen est déjà terminé, nous ne savons pas comment ils utiliseront réellement” nos réponses, se demande le haut fonctionnaire.
“Pas clair c’est le mot de l’année 2025”, lance l’employé de l’organisation d’aide.