Kim Thúy renoue avec la famille qui a parrainé la sienne à leur arrivée au Québec
Sabin Desmeules
Elle éprouve du mal à les verbaliser, mais Kim Thúy traverse actuellement une gamme d'émotions très variées! Le film adapté de son livre a remué des choses en elle. Tranquillement, son amoureux des deux dernières années l'aide à nommer ce qui, intérieurement, l'habite...
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Elle a vécu plusieurs vies: interprète, avocate, restauratrice, autrice, animatrice... Mais jamais Kim Thúy n’aurait songé un jour qu’un de ses livres serait adapté au cinéma! «La vie m’apporte toujours quelque chose de nouveau, d’inconnu», se réjouit-elle. «C’est comme si je venais de suivre un cours intensif de cinéma d’un an!» Elle parle de la sortie du film Ru, adapté de son livre du même nom. Elle figure également au générique de l’œuvre à titre de productrice associée. «On m’a donné ce titre simplement parce que je suis la meilleure cheerleader sur le plateau!» rigole-t-elle. «C’était pendant la période pandémique, le nombre de personnes était limité sur le plateau, alors on m’a attribué un rôle afin que je puisse y aller.»
Le tournage de ce long métrage sur son enfance a été éprouvant pour l’autrice. «J’ai beaucoup pleuré. Les décors étaient tellement crédibles!» se souvient-elle. Après avoir visionné le film pour la première fois, Kim est tombée dans un profond sommeil. «Mon corps a eu une forte réaction. Je ne pensais pas que j’avais cette mémoire sensorielle, que je me souvenais de la terre brûlée, que cette période-là m’avait affectée... J’avais toujours affirmé ne pas avoir de traumatisme. Et là, boum! Le fait de retourner en arrière m’a obligée à voir que, oui, ça m’avait affectée.»
SON LIVRE A ÉTÉ DANSÉ
Le film de Charles-Olivier Michaud n’est pas la seule adaptation du livre de Kim Thúy. Une chorégraphe française résidant au Vietnam a déjà mis en scène un spectacle de danse inspiré de Ru. «Elle a dansé mon livre!» n’en revient-elle pas. Le spectacle n’a cependant pas pu être présenté dans le pays d’origine de Kim; les autorités vietnamiennes l’en ont empêché. Le roman n’y est pas distribué. «Les boat people (les gens qui ont fui après la guerre), ça n’existe pas pour eux. Ce n’est pas un pan glorieux de l’histoire du Vietnam.»
ELLE RENOUE AVEC SA FAMILLE D’ACCUEIL
Au moment de notre rencontre, l’autrice s’apprêtait à reprendre contact avec un membre de la famille qui a parrainé celle de Kim lorsqu’elle est arrivée ici, les Godbout. «On a appris que monsieur Godbout nous a quittés. Sa plus jeune fille, Amélie Godbout, nous a écrit récemment. Elle savait qu’elle avait reçu une famille vietnamienne chez elle, mais elle était trop jeune quand ça s’est passé, elle ne s’en souvenait pas. En parcourant des photos, elle m’a reconnue et elle nous a écrit. On va la voir à Granby!»
SES PARENTS ENFIN HEUREUX!
Le papa et la maman de Kim ont sacrifié leur avenir afin que celui de leur fille et de leurs deux fils soit meilleur. L’aînée est devenue une autrice à succès, un de ses frères est dentiste et l’autre, actuaire et PDG. «Le bonheur de nos parents passait par le nôtre et on les poussait à chercher le leur. Ils ont commencé à apprendre à danser, à avoir leurs propres amis... Ça nous a rendus tellement heureux quand on s’est invités à manger chez eux et qu’ils nous ont dit: “Désolés, on a déjà un souper ce soir chez des amis!” On est passés au second plan... mais on était contents parce que, finalement, ils se donnaient priorité!»
Les parents de l’autrice ont trouvé difficile de visionner le film. La première fois, lors du Festival international du film de Toronto (TIFF), rien n’a paru. Mais la seconde, plus récemment, a fait craquer la maman. «Mes parents ne voulaient pas le revoir, mais ils ont accepté pour les besoins d’une émission spéciale de Radio-Canada. Et j’ai vu ma mère s’éponger des larmes... c’est dur!» admet la femme. «Pourtant, elle avait chicané ma tante pour avoir pleuré à la projection du TIFF! Elle lui disait ne pas comprendre qu’on pleure pour un film. Elle avait une résistance, mais elle a cédé la deuxième fois.» Et son papa aussi a fait un émouvant retour dans son passé. «Il a dit: ''Ça prouve bien le pourquoi de notre venue ici.'' Ça l'a ramené à cette décision.»
PAS DE MOTS POUR ÇA
Pendant la guerre du Vietnam, le père de Kim a été séparé de sa famille pour éviter les bombardements. Il a vécu avec son oncle. «Et il se considérait chanceux de pouvoir continuer ses études. Mais quand je lui ai demandé si ses parents lui manquaient, il n’a pas compris la question.» Kim aussi a du mal à exprimer ses sentiments intérieurs. «On ne m’a pas appris à verbaliser des émotions. Je parle beaucoup, mais pas tant que ça des émotions, admet-elle. Depuis deux ans j’ai un amoureux, Yves, et chaque fois qu’on a une discussion sérieuse, il me dit: “Tu évites la question. Je veux comprendre comment tu te sens.” Et très souvent, je n’ai pas la réponse. Il faut qu’il trouve un bon moment avant que je sois capable d’identifier que, par exemple, telle chose m’a fait de la peine.»
LÀ OÙ LE VENT LA MÈNE
Cette humaine fabuleuse se laisse porter par l’existence et dit oui aux nouvelles avenues qu’elle peut lui tracer. «Je crois vraiment que la vie a les réponses à nos questionnements. On a juste à suivre les portes qu’elle nous ouvre. Alors je dis oui à tout. C’est ma plus grande qualité!»
À QUOI PEUVENT BIEN PENSER SES FILS?
Elle est la maman de deux garçons: Justin, le plus vieux, et Valmond, le cadet, qui vit avec un trouble du spectre de l’autisme. Récemment, Kim partageait une photo de Valmond regardant le vide sur ses réseaux sociaux, exprimant le désir d’entendre ses pensées sur elle. «J’échangerais tout l’or du monde pour entendre la réflexion de Valmond sur sa mère qui bouge trop vite, qui parle trop fort, qui peut-être aime trop», écrivait-elle en exergue. Elle explique sa publication: «Je me suis toujours demandé ça, parce que pour Valmond, je suis trop vite, trop bruyante. Et j’ai appris à me ralentir beaucoup autour de lui.» Le jeune homme, comme plusieurs personnes ayant un trouble du spectre de l'autisme, est hypersensible au bruit. «À la maison, il n'y a pas de musique, je cuisine avec des spatules en bois, je ne range pas la vaisselle en faisant trop de bruit parce que je sais qu’il entend intensément chaque son que je fais. Je suis donc hyper silencieuse chez moi! À l’extérieur, il porte des coquilles sur les oreilles, mais à la maison, je fais tout pour rendre son environnement le moins hostile possible.»
Justin, contrairement à son frère, est un être autonome qui a la capacité de s’exprimer... pourtant, il garde bien des choses à l’intérieur! «Mon aîné est avocat, il parle à tout le monde. Mais il est plus déroutant que Valmond, parce qu’il est capable de dissimuler ce qu’il pense vraiment. Et je suis certaine qu’il s’empêche de dire plein de choses pour ne pas me blesser, pour me protéger.» Au moins, elle peut lui transmettre son amour de mère par de petits gestes. «Il ne veut pas m’inquiéter. Tout ce que je peux faire, c’est lui préparer des lunchs pour la semaine, le week-end, quand il vient.»
LE TEMPS DES VACANCES
Pour la première fois depuis 20 ans, elle s’apprête à prendre des vacances en amoureux. C’est son compagnon qui a comploté pour libérer Kim de ses obligations. «Dans mon dos, il a organisé ça avec mon agente et Francis, le papa de mes enfants, pour me trouver une semaine. Francis lui a souhaité bonne chance et lui a dit: “Tu peux bien lui bloquer une semaine, je t’en donne même deux, je prends Valmond et va-t’en avec elle... mais elle ne partira pas!”» Précisons que l’ex de Kim et son amoureux actuel s’entendent à merveille. «On habite dans la même maison. Et mes parents sont à côté, les parents d’Yves aussi. C’est une commune!» rigole-t-elle. Toujours est-il que l’entourage de Kim lui a libéré deux semaines en janvier. Le couple a loué une villa à Kamouraska. «Les enfants, s’ils veulent venir nous voir, seront les bienvenus. On part en vacances!!! Mais je veux du temps pour écrire.»
Le film Ru est à l’affiche au cinéma partout au Québec.
Le lvre dont il s’inspire vient de paraître en édition de luxe chez Libre Expression.