Jumelle Stratis: «Pourquoi j’ai été annulée? Parce que j’ai été une bitch!»
Notre chroniqueur a assisté à un cours d’université où une ex-personnalité du web racontait son «annulation»

Louis-Philippe Messier
À l’intérieur de Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
L’ex-blogueuse de mode Josiane Stratis a longtemps été une adepte des mouvements de dénonciation en ligne comme #MoiAussi. C’était avant qu’elle se fasse elle-même « annuler ».
Avec sa sœur jumelle et partenaire d’affaires, elle a fini par goûter à sa propre médecine.
À l’été 2020, des accusations de harcèlement psychologique et d’intimidation, de la part d’anciennes collaboratrices, leur ont valu la proscription.
- Écoutez l'entrevue avec Josiane Stratis à l’émission de Sophie Durocher diffusée chaque jour en direct 14 h 35 via QUB radio :
Celles que l’on surnommait les « jumelles de la mode », fondatrices des sites Ton Petit Look et Ton Petit Look Mom, ont eu droit à l’habituelle vindicte : menaces de mort, invitations au suicide, divulgation des écoles de leurs enfants, plaintes à la Direction de la protection de la jeunesse, harcèlement et insultes à leur mère, à leur petite sœur, à leurs chums, etc.
« J’étais tellement inondée de menaces et de lettres qui me suggéraient de me suicider que, si je recevais une dick pic [photo de pénis], je me disais : “Hé ! Au moins, cette personne ne veut pas ma mort !” »
Pas de goudron ni de plumes
Mme Stratis est sortie de sa réclusion de six mois il y a environ un an et demi, afin, notamment, de dénoncer les excès de la « culture de l’annulation » avec son infolettre « Boude-moi », diffusée sur le site Substack.

La doctorante en communication et chargée de cours Laurence Grondin-Robillard a invité la blogueuse en phase de « désannulation » à faire part de son expérience aux étudiants d’un cours d’écriture en contexte numérique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
« Pourquoi j’ai été annulée ? Parce que j’ai été une bitch ! » a commencé par dire Mme Stratis à la cinquantaine d’étudiants... pour les faire éclater de rire.
Curieux de l’accueil qui lui serait réservé, j’étais là. Personne n’a sorti le goudron et les plumes. Les étudiants écoutaient calmement.
Destruction sociale sans procès
Dans le regard de certains, je lisais l’interrogation : « Cela pourrait-il m’arriver ? »
« Si tu commences à avoir peur de tes amis en ligne parce que tu milites et qu’un mot de travers peut te valoir une exclusion, c’est un signal d’alerte. »
« J’ai été une bitch, mais ça ne méritait pas une destruction sociale et professionnelle totale, sans possibilité de se défendre ou de se corriger », a continué Mme Stratis.
« Plusieurs des annulés n’ont pas eu droit à des procès, mais seulement à des allégations médiatisées. Ils n’ont aucun moyen de se défendre ou, s’ils se reconnaissent coupables, de se réintégrer. »
Elle incitait les étudiants à éviter de participer à ce genre de défoulement collectif sur des gens qui, coupables ou innocents – ou quelque chose entre les deux –, ne sortiront pas grandis ou améliorés de leur châtiment démesuré.
« Tandis que mes amies me trahissaient, des gens que j’avais moi-même contribué à faire annuler venaient me dire qu’ils étaient désolés pour moi, que ça allait beaucoup trop loin. »
Comme saint Paul sur le chemin de Damas, Josiane Stratis a eu un éblouissement. Elle a découvert une solidarité entre certains des annulés, qui s’épaulent, une sorte de communauté.
Mais ça, je l’espère, ce sera le sujet d’une prochaine chronique.
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