Journal de bord: 48 heures à porter la brassière nippée de SKIMS


Anne-Lovely Etienne
BILLET - Carte de crédit débitée à 130,72$. C’est ce que m’a coûté le fameux soutien-gorge de la griffe SKIMS avec «faux mamelons» intégrés. Je l’ai acheté. Je l’ai essayé. Et je me suis questionnée. Voici mes réflexions.
Clairement, Kim Kardashian et l’équipe de sa marque SKIMS ont réussi leur pari: parlez-en bien ou parlez-en en mal, mais parlez-en... et surtout DÉPENSEZ.
La publicité sur Instagram cumule aujourd’hui plus de 88 millions de vues sur son compte personnel (en plus de toutes les rediffusions), et tenez-vous bien, le soutien-gorge, qui a été lancé le 31 octobre dernier, est actuellement en épuisement de stock. Poufffff! Disparu!
Pour mieux comprendre ce qui fait l'intérêt de ce produit, je me suis lancé le défi de le porter durant 48 heures. Sous mes chandails ajustés, j’exposerais des mamelons apparents parfaitement ronds, dans un état «perma-stimulé».
Assumer le modèle Ultimate Nipple Push-up Bra a réveillé chez moi de grands questionnements. Étais-je en train d'embrasser ma féminité ou encourager l’hypersexualisation des femmes? D'accepter mes courbes ou de requestionner les critères de beauté? De défendre la diversité sexuelle ou de provoquer la masculinité toxique? De soutenir un sous-vêtement conçu pour les femmes ou pour stimuler le regard des hommes? Beaucoup de dichotomie!
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Jour 1 - Moi, moi-même et les réseaux sociaux
Le jour J est arrivé, j'enfile ma nouvelle acquisition. Premier constat? Le soutien-gorge est surprenamment confortable et léger, même s’il est doublé et que les tétons sont bien visibles!
Seule dans mon appartement, je me sens rougir. Et pour faire face à mon malaise grandissant, je filme mon expérience sur les réseaux sociaux.
Les commentaires fusent de partout et il n’a fallu que quelques minutes pour susciter la curiosité des Internautes, qui ont été des milliers à visionner ma vidéo.
Une chose attire mon attention: tant les femmes que les hommes ont une opinion à émettre et c’est très divisé.
Du côté des femmes, certaines ont applaudi le nouveau produit en mentionnant qu'il permettrait à des femmes touchées par le cancer du sein qui ont dû subir une masectomie de se réapproprier une part de féminité. Je l’avoue. Bravo!
D’autres femmes de la communauté LGBTQ+ et travailleuses du sexe y ont vu du génie car le soutien-gorge est un dessous qui leur permet d’endosser complètement leur sexualité et leur expression de genre.
D’autres femmes ont sonné l’alarme de l’hypersexualisation chez les adolescentes et les jeunes femmes. Elles se sont questionnées sur le message à connotation sexuelle qui se cache derrière le produit.
Puis, il y en a même qui y ont vu un recul sur l’enjeu de la diversité corporelle, car toutes les poitrines sont différentes. Cependant, le produit semble promouvoir un type «parfait» de poitrine siliconée. Est-ce donc adapté pour TOUTES les femmes? Bonne question!
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Du côté des hommes, certains m’ont exprimé avec humour qu’ils attendent avec impatience le caleçon du même type... Okkkuuurrrrr!
Certains y ont vu une forme de provocation, qui démontre que pour eux, des femmes utilisent la sexualité dans une quête infinie d’attention, pas toujours justifiée.
Ma lecture s’est gâché lorsqu’un internaute du type masculinité toxique a remis en question le combat des victimes d’agressions sexuelles en affirmant que les femmes qui portent le Nipple Push-Bra n’ont pas le droit de crier au viol, puisqu’elles l’ont cherché...
Dieu merci, je n’ai reçu qu’un seul commentaire du genre.
De mon côté, pour être franche, je n’ai pas toujours assumé ma poitrine, convaincue par mes biais inconscients qu’on associe les poitrines pulpeuses aux femmes crédules et sans intellect, comme les médias ont si souvent critiqué Pamela Anderson dans Alerte à Malibu.
Et pourtant, brassière controversée de SKIMS ou pas, je suis la même Anne-Lovely, capable de critique et de cohérence.
Le problème est donc le regard d’autrui.
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Jour 2 : À la station d’essence et l’épicerie
Au jour 2, je sors «dans le vrai monde».
Vêtue d’un col roulé ajusté, je m’arrête mettre de l'essence. Du caissier aux clients et clientes qui attendent en ligne, en passant par le mec qui remplissait aussi son réservoir, six paires de yeux sont rivés sur cette fausse représentation de ma poitrine.
J’ai l’impression d’être nue. Le regard de ces étrangers me donne l’impression d’être vulgaire.
Maladroit, le jeune caissier ne savait même plus où regarder et m’a remis le mauvais montant de change. Oups!
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À l’épicerie, ç'a été sensiblement la même chose, mais un peu plus intense.
Un mec m’a suivie, durant deux minutes. Entre deux allées, il m’a adressé un bonjour timide et a lancé: «Vous êtes magnifiques mademoiselle», en souriant, tout en soutenant son regard sur ma poitrine.
Oh mon Dieu! Ces réactions sont plutôt fortes quand on pense au fait que bien que le soutien-gorge amplifie l'affaire, avoir des mamelons durcis est juste un phénomène biologique banal.
Après ces 48 heures, déchirée entre ma crainte de provoquer en public et l’affirmation de mon corps, je conclus que l’inconfort que je ressens est bel et bien causé par les réactions, les regards insistants ou critiques ainsi que les comportements parfois grossiers ou parfois gauches des gens que j'ai croisés. Je crois quand même que les poitrines devraient être tout aussi libres que les femmes souhaitent l'être...
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