«Je n’ai pas été enterrée, mais je suis morte. Ils m’ont tuée, ils ont tué mon âme»
TVA Nouvelles
Une survivante des pensionnats autochtones s’est livrée dans une longue entrevue avec Mario Dumont, jeudi, au cours de laquelle elle a raconté les sévices épouvantables qu’elle a subis aux mains des religieux, qui, même si elle est encore vivante aujourd’hui, «ont tué son âme».
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Anne Rock, qui a aujourd’hui 61 ans, est entrée au pensionnat Mani-utenam sur la Côte-Nord, alors qu’elle avait 5 ans.
«Quand je ferme les yeux, je me souviens qu’à l’âge de 4 ans, je suis avec ma mère, mon père, ma famille. On est à Labrador City, on est bien, je suis bien entourée, je reçois beaucoup d’amour», commence Mme Rock.
Du jour au lendemain, un déchirement se produit. Elle ainsi que ses frères et sœurs se font arracher à leur famille et se retrouvent au pensionnat.
La petite fille se retrouve dans un dortoir, la nuit, sans comprendre ce qu’elle y fait, avec des dizaines d’autres enfants.
«Je me réveille dans une grande maison, un grand dortoir. Il y a des femmes qui sont habillées tout en noir, moi je ne vois que le visage. Je me demande qui elles sont, mais personne ne m’explique», se souvient-elle.

Où sont ses parents? Combien de temps elle y restera? Elle n’en sait rien.
«C’est un cauchemar. [...] J’entends des enfants qui ont le même âge que moi pleurer. Je pleure aussi, je suis sous les couvertures, bien “abrillée”, je me demande ce que je fais ici.»
Elle ne sait pas où sont ses autres frères et sœurs, classés par sexe et par âge, sauf sa petite sœur qui est dans le même dortoir qu'elle.
«Je l’entends pleurer, mais je ne peux pas aller la consoler», se remémore l’Innue.
Comme tous les enfants des Premières Nations qui entraient au pensionnat, son vrai nom est effacé et un numéro lui est attribué: le 11. Numéro qui, encore aujourd’hui, résonne en elle: «Je me dis que c’est moi.»
Forcée à manger son vomi
Abus sexuels, sévices psychologiques, Anne Rock revient sur l’enfer qu’elle a vécu.
«J’ai passé sept ans sans être capable de parler ma langue, à toujours faire ce qu’ils me demandaient de faire.»
Dans les sévices du quotidien, elle se souvient des religieuses qui la forçaient à manger toute son assiette, même si elle n’aimait pas la nourriture, jusqu’à en vomir.
«Moi la nourriture... c’étaient des patates et des navets, je déteste le navet. J’avais un verre de lait, il y avait une religieuse à côté de moi pour que je finisse de manger. Si je ne mangeais pas, c’était une punition. Des fois, ça sortait, quand tu manges ce que tu n’aimes pas, bien fallait que tu ravales. J’ai mangé mon vomi.»
Abus sexuels
En plus de la maltraitance, la fillette a aussi subi des abus sexuels d’un prêtre qui agissait comme le cordonnier du pensionnat.
«Je suis petite, je vais amener mes souliers. Je ne vois que la taille du cordonnier, il me dit d’avancer pour lui donner mes souliers... L’abus sexuel s’est passé là», se remémore-t-elle.
Elle est convaincue que les religieuses responsables savaient très bien ce qui se passait avec le cordonnier, il était réputé comme le plus grand abuseur de l’endroit.
«On a trouvé 250 enfants, on les a enterrés. Moi je n’ai pas été enterrée, mais je suis morte. Ils m’ont tuée, ils ont tué mon âme», livre Anne Rock.
Si elle a réussi à survivre, plusieurs de ses amies du pensionnat se sont suicidées.
«J’ai une photo de mes amies pensionnaires de mon âge. Sur cette photo on est peut-être 15-20, il y en a 10 qui se sont suicidées. Moi, je ne me suis pas suicidée, mais je suis morte quand même.»
Alcoolisme et toxicomanie
Le chemin d’Anne Rock n’a pas été pour autant de tout repos. Aux prises avec des problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie, elle a connu des années difficiles.
«Quand je suis sortie du pensionnat, je n’avais pas d’identité. Je ne voulais pas être une Indienne, une Première Nation, je détestais mon être. J’entendais l’histoire du Canada qu’on m’enseignait, qu’on était des sauvages qu’on tuait les prêtres et qu’on scalpait tout le monde. Je ne voulais plus être. Je n’avais plus aucune identité. Je voulais être une blanche, comme les autres, mais même là...»
Si la femme a également pensé à s’enlever la vie, elle a joint le mouvement des Alcooliques anonymes à 29 ans, elle a participé à des cérémonies, et des enseignements sur son identité véritable.
C’est finalement lorsqu’elle a accepté qu’elle était une Autochtone qu’elle a senti qu’une nouvelle vie s’ouvrait devant elle. Elle a fait ses études universitaires, et est devenue intervenante dans le milieu de la toxicomanie.
Elle souhaite dire aux autres femmes comme elle qu’il est possible de vivre et d’être bien.
«Je transmets aujourd’hui l’amour à mes 10 petits-enfants, l’amour que je n’ai jamais eu pendant sept ans.»
Pas de pardon
Si Mme Rock vit dans la vérité et souhaite raconter son histoire, elle est encore loin de pardonner tout le mal qui lui a été fait.
«Je suis rendue à la vérité, mais pas à la réconciliation. Qu’ils s’excusent ou pas, ça ne change rien. Je ne veux pas d’excuses, je veux que les Premières Nations disent et partagent leurs blessures.»
***Voyez son entrevue intégrale dans la vidéo ci-dessus.***