«Je me ramasse aujourd’hui à 75 ans avec rien en avant de moi»: des personnes âgées aussi prises à la gorge
Des aînés sont forcés de déposer leur bilan, entre autres quand des ennuis de santé mettent à mal leurs économies
Jean-François Cloutier, Marie-Claude Paradis-Desfossés et Philippe Langlois
Les jeunes Québécois sont de plus en plus représentés dans les procédures d'insolvabilité, au Québec. Notre Bureau d'enquête et l'émission J.E ont rencontré plusieurs jeunes qui ont fait faillite avant même d'avoir 25 ans, mais aussi des personnes âgées, qui peinent à régler leurs factures.
- NOM : Murielle
- ÂGE : 75 ans
- VILLE : Montréal
- FAILLITE : janvier 2022
- CAUSE : baisse de revenu à la suite du placement en centre d’hébergement de sa mère
- NOM : Madeleine
- ÂGE : 95 ans
- VILLE : Montréal
- FAILLITE : mars 2022
- CAUSE : revenus insuffisants par rapport aux obligations
De nombreuses personnes âgées, à la retraite et dont le revenu est faible, ont beaucoup de mal à payer leurs factures et les options pour s’en sortir sont limitées.
Plus du quart des dossiers d’insolvabilité chez les personnes âgées de 65 ans et plus au Canada se trouvaient au Québec en 2022, selon des données du Bureau du Surintendant des faillites.
Notre Bureau d’enquête révélait hier que les jeunes Québécois avaient de plus en plus de mal à joindre les deux bouts et qu’ils représentaient maintenant près du tiers des dossiers d’insolvabilité au Québec.
Mais il n’y a pas que les jeunes qui peinent à arriver. Murielle, une retraitée de 75 ans, et sa mère de 95 ans ont chacune dû faire faillite à quelques mois d’intervalle en 2022, parce qu’elles n’arrivaient plus à payer leurs factures.
«J’ai travaillé 46 ans. J’ai commencé à 19 ans et j’ai arrêté à 67 ans. Je me ramasse aujourd’hui à 75 ans, presque 76, avec rien en avant de moi», regrette Murielle, qui a préféré taire son nom de famille.
L’histoire de ces deux femmes montre bien combien il peut être difficile de respecter son budget quand la santé commence à décliner. Il y a peu de moyens de générer de nouveaux revenus.
Les deux dames âgées n’ont de plus jamais possédé d’immobilier, un important facteur d’enrichissement récemment, selon des syndics (voir autre texte).
«On en voit de plus en plus des gens qui malgré tous les efforts n’arrivent pas. On sait que les banques alimentaires sont débordées, les ressources d’aide, c’est rempli partout», estime Marie-Josée Ouimet, conseillère budgétaire à l’ACEF Lanaudière.
Chute coûteuse
Selon le récit de Murielle, c’est une chute de sa mère qui a précipité leur insolvabilité.
Les deux femmes vivaient dans le même appartement, mais l’accident de Madeleine a fait en sorte qu'elle a été hospitalisée. Elle a dû aller vivre ensuite dans un centre d’hébergement parce qu’elle n’est plus capable de marcher.
Du coup, elle s’est trouvée à devoir payer 1596$ par mois pour une place, et Murielle a dû continuer seule à assumer le coût de l’appartement.
- Écoutez le segment judiciaire avec Félix Séguin où il revient sur le dossier de l'insolvabilité financière des Québécois via QUB radio :
«Ça aurait été trop pénible pour moi de m’en occuper, la lever et tout ça. Elle aurait été condamnée à sa chambre et son lit toute la journée. Le CLSC pouvait venir trois fois par jour, c’est le maximum. Ils ne pouvaient pas venir plus que ça», explique-t-elle.
Cette situation fait en sorte que chaque dépense, aussi minime soit-elle, est maintenant minutieusement analysée.
Murielle a présenté à notre Bureau d’enquête un cahier dans lequel est consigné chaque déboursé, pour s’assurer de ne pas dépasser un budget réglé au quart de tour.
«Les sorties et les loisirs, y en a pas, résume Murielle. Les petits [luxes] qu’on pouvait se payer avant comme aller chez la coiffeuse, une fois le restaurant; c’est tout ça qu’on a dû mettre de côté pour vivre au moins dans notre appartement.»
Quelque chose d’aussi simple qu’acheter des chaussures devient compliqué.
Il a fallu négocier avec le centre d’hébergement pour avoir une baisse de loyer d’environ 200$ par mois, dit la femme de 75 ans, mais c’est chaque fois un parcours du combattant de justifier des ressources limitées.
Prêteurs voraces
Murielle dit s’être fait dire non par la plupart des institutions financières quand il a été question d’aller chercher une aide. Il faut dire qu’elle n’en était pas à sa première faillite. Elle s’était déjà déclarée insolvable en 2002 et en 2018.
Les taux d’intérêt qui lui ont été offerts oscillaient entre 28 et 31%, selon elle.
«On a emprunté 5000, 7000$ et on devait rembourser près de 20 000$», dit Murielle.
«C'est une humiliation. On se sent irresponsable même si c’est la vie qui nous rend comme ça parce que tout augmente et tout est cher», souligne-t-elle.
Elle confie que sa mère dit parfois avoir hâte de «partir» pour ne plus être un fardeau financier, mais c’est quelque chose qu’elle déteste entendre.
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