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Culture

Janette Bertrand célèbre 100 ans d'amour

On écoute «La grande messe» le 25 mars à 21 h.

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Michèle Lemieux

2025-03-20T10:00:00Z
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Ces derniers mois, Janette Bertrand a été célébrée à maintes reprises pour son exceptionnelle contribution à l'évolution de la société québécoise, pour son engagement social et son apport à la culture. L’écrivaine, journaliste et animatrice mérite pleinement son surnom de Trésor national! À la veille de son 100e anniversaire, la grande dame se remémore quelques moments importants de sa vie personnelle et son parcours professionnel.

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Madame Bertrand, on vous a souvent rendu hommage au cours de la dernière année. Vous êtes-vous sentie aimée et reconnue?

Je suis très contente d’avoir reçu tous ces honneurs, car on m'a beaucoup critiquée au cours de ma vie. Alors, ça a fait du bien à mon cœur qu’on m’offre cette reconnaissance. Je me trouve très chanceuse, car beaucoup de gens meurent et ne reçoivent un hommage seulement le jour de leurs funérailles, alors qu’ils ne sont plus là. 

Vous nous avez présenté récemment un livre sur la vieillesse, qui connaît un immense succès...

Je n’en reviens pas! Dès la première semaine, il a fallu aller en réimpression. De toute évidence, ça répond à un besoin. D’ici peu, les vieux seront plus nombreux que les jeunes. Si on ne s’intéresse pas à la vieillesse, on ira droit dans le mur.

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À la veille de vos 100 ans, continuez-vous à élaborer des projets?

Oui. Je n’ai jamais pensé que je me rendrais à 100 ans. Je sens que j’ai encore des choses à dire, à donner, à partager. Je prépare déjà ma 101e année. Je songe à ce que je pourrais encore proposer... J’ai plusieurs bobos, mais quand je travaille, je n’y pense pas. Si je n’avais rien à faire, je m’arrêterais aux douleurs que je ressens. Être occupée est un vrai remède. Le travail nous valorise.

La valorisation, on le sait, vous a fait gravement défaut par le passé.

Oui, j’avais besoin d’être reconnue. Je voulais prouver à mon père qu’une fille, ça vaut quelque chose. Selon les mœurs du temps, une fille, ça ne servait à rien, sinon à faire des petits. Maintenant, les femmes sont ministres, chirurgiennes, etc.

Votre contribution à l’affranchissement des femmes vous rend-elle fière?

Très tôt, je me suis dit que je changerais le monde. Et je pense que j’ai réussi. Pas beaucoup, mais un peu. 

Que retenez-vous de votre parcours exceptionnel?

Dans mon parcours, j’ai fait avancer la cause de l’homosexualité de même que la cause de l’équité entre les hommes et les femmes. Actuellement, j’essaie de donner de l’estime aux personnes âgées. Après avoir démarré le projet Écrire sa vie, j’ai lancé une autre initiative l’année dernière... J'ai créé, en collaboration avec l’Institut de gériatrie, le projet Les aînés, en manque de modèles. Je suis bénévole pour faire connaître cet institut réservé aux personnes âgées, qui n’existe que pour rendre la vie des vieillards plus confortable.

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Et qu’est-ce qui rend la vôtre plus confortable?

Le fait qu’on me donne des médicaments pour soigner mes bobos. J’en ai tout plein, c’est incroyable! Il n’y a que ma tête qui n’en a pas besoin. Quand tu as toute ta tête, il faut que tu en prennes soin en lisant, en apprenant, en mémorisant des choses. Moi, j’apprends tout le temps. J’ai des problèmes de mémoire, c’est normal, mais je n’ai pas de maladie cognitive. Mais je ne suis pas le seul modèle d’aîné en forme. On peut en voir plusieurs dans les capsules de l’Institut de gériatrie. 

J’aimerais qu’on discute de vos 41 années d’amour avec Donald Janson...

Avant, les femmes n’avaient pas une seconde chance. J’ai vécu un divorce. Un divorce, ce n’est pas drôle du tout... Entre les enfants et le travail, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour ma vie amoureuse. Alors, le fait que j'ai eu la chance de me reprendre, c’est formidable. Je suis contente d’être née à une époque où on peut avoir la chance de refaire sa vie.

Sur ce plan aussi, vous avez essuyé votre part de critiques.

Ah! mon Dieu! Il a 20 ans de moins que moi. C’était épouvantable! Mais c’était vraiment le grand amour. Cette différence d’âge, Donald et moi ne l’avons jamais vue. Tous les hommes sont avec des femmes plus jeunes, mais c’était mal vu que moi, une femme, je le fasse. C’est encore un grand tabou. Si on veut l’équité entre les hommes et les femmes, il faudrait que les femmes aussi soient libres de faire leur vie avec un homme plus jeune.

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Combien de temps le public a-t-il mis à vous pardonner cette audace?

Un an. Les premières fois que nous sommes sortis ensemble publiquement, les gens avaient des revolvers dans les yeux. Mais plus maintenant. Plusieurs femmes viennent me dire à l’oreille qu’elles ont un amant plus jeune. Pendant des siècles, les femmes ont été conditionnées à n’avoir qu’un seul homme dans leur vie. Et on nous répétait qu’on n’aime qu’une fois. C’est faux. On aime plusieurs fois. On se trompe, aussi... Souvent, le premier mariage est basé sur le désir. Quand on a des enfants rapidement, on n’a pas de vie amoureuse. Très tôt après mon mariage, j’ai eu des jumelles, que j’ai perdues. Tout de suite après, j’ai eu Dominique. Dans un couple, on est tout l’un pour l’autre, puis quand arrive un enfant, on se perd de vue. Avant, on faisait souvent des enfants sans s’en apercevoir. C’était mon cas, car il n’y avait pas de moyens contraceptifs. Je suis tombée enceinte de mes jumelles la semaine après mon mariage.

Avez-vous eu un doute quant à vos possibilités de fonder une famille?

C’était ma première grossesse et ça se terminait par la mort des bébés... Mais je savais que j’aurais des enfants un jour, parce qu’il n’y avait pas de moyens de contraception. Je ne pensais juste pas que ça m’arriverait aussi vite et encore moins que j’en aurais deux! J’ai eu cinq enfants au total, dont trois vivants, et je ne voulais pas en avoir d’autres. On est faites fortes, les filles. Aujourd’hui, j’ai trois enfants, huit petits-enfants et sept arrière-petits-enfants. Nous sommes 32. Quelle merveille d’avoir des petits-enfants! On n’a pas à les élever, juste à les aimer.

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Et à l’époque, les maris n’étaient pas très engagés...

Effectivement. En plus, je n’avais pas de mère. Mon père me disait que je ne pouvais pas me plaindre de trop travailler, parce que sa femme ne l’avait jamais fait. Travailler, pour une femme, c’était très grave, car l’homme était censé être le pourvoyeur. Quand il y a de l’argent en jeu dans le couple, ça devient compliqué. Les choses ont beaucoup changé, et je ne suis pas nostalgique de l’ancien temps.

Quel âge aviez-vous lorsque vous êtes entrée sur le marché du travail?

J’ai commencé à travailler à 18 ans et je suis allée à l’université de 18 à 20 ans. Durant cette période, la station de radio CKAC m’a demandé de faire une émission avec Jean-Pierre Masson. J’écrivais les textes qui étaient lus quotidiennement. Puis, mon mari est entré dans ma vie. C’était un acteur, alors j’ai continué à écrire des sketchs. Quand la télévision est arrivée, j’ai continué à écrire, et nous avons joué ensemble. Je n’ai pas été malheureuse. J’étais très amoureuse de cet homme-là... mais je suis mieux maintenant.

Madame Bertrand, vous allez avoir 100 ans le 25 mars. Comment abordez-vous cette étape?

J’ai peur. J’ai peur de n’avoir rien d’autre à faire après. Je commence déjà à me chercher des projets. Il faut que je continue à avoir des projets, sinon je vais devenir folle. Je ne peux pas arrêter. Même si je suis fatiguée, je passe par-dessus. J’espère mourir en plein travail.

C’est une chance d’avoir pu continuer de travailler aussi longtemps!

Mais comme j’aurai 100 ans, je vais perdre en popularité... Qu’est-ce que je vais devenir? On va me jeter dans l’oubli! (rires) Je vais probablement travailler moins, parce que j’ai toutes sortes de petites maladies qui se pointent. Il y a deux ans, j’ai eu une greffe de la cornée. Bientôt, je serai opérée à l’autre œil. Si je ne peux plus lire, j’aime mieux mourir. Je vais encore être un exemple: la fille qui se fait opérer à 100 ans! (rires) Même si c’est pour un an, ça vaut le coup.

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Avez-vous prévu quelque chose pour votre centenaire?

Le 22 mars, on se réunit en famille pour regarder le spécial d’En direct de l’univers!. Le soir de mes 100 ans, je vais fêter avec ma famille et mes amis. On va regarder ensemble l’installation vidéo documentaire Le siècle de Janette, réalisée par Léa Clermont-Dion. À 100 ans, je vais vivre. C’est ça qui est important. Quand je suis en train de cuisiner, parfois je me dis qu’en 100 ans, j’en ai fait, des repas! C’est Donald qui fait à peu près tout, maintenant. Je veux continuer comme si je n’avais pas 100 ans. L’âge n’est pas une limite. Je verrai ce que c’est qu’avoir 101, 102 ans. On verra après. (rires)

Vous parlez de cuisine. On a réédité récemment votre fameux livre de recettes, Les recettes de Janette.

Oui, ma maison d’édition m’a proposé de le rééditer parce qu’il est tellement demandé. Les femmes l’achètent pour leurs filles. Ce sont les recettes que j’avais présentées en 1968. Elles sont vraiment bonnes. Écoute, ça va merveilleusement bien pour moi. On dirait que je récolte ce que j’ai semé. C’est une grande chance dans la vie. Je me trouve très chanceuse et privilégiée.

Madame Bertrand, qu’est-ce qu’on ne sait pas à votre sujet?

Je suis un livre ouvert. Il n’y a pas grand-chose que je n’ai pas dit... Je suis quelqu’un qui partage tout. Même sur le plan professionnel, j’ai toujours tout partagé. Cela vient du fait que j’ai grandi dans un quartier défavorisé. Après la septième année, parmi toutes les petites filles de mon école, il n’y en a que trois qui ont poursuivi leurs études. Je trouvais ça tellement injuste. Moi, j’ai toujours voulu la justice. Je me suis dit que j’allais apprendre des choses et trouver une manière de partager ça avec elles autrement. C’est ce que j’ai fait toute ma vie: partager avec les gens qui n’avaient pas la chance de rencontrer tous ceux que je rencontrais. J’ai beaucoup travaillé. Ça ne tue pas! Encore une fois, je voulais tellement prouver à mon père qu’une fille, ça vaut quelque chose... Les enfances malheureuses deviennent un moteur.

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Je présume que vous avez fait en sorte que vos enfants aient une enfance plus douce que la vôtre...

Oui, car on fait comme nos parents ou on fait tout le contraire. Moi, j’ai beurré mes enfants de compliments comme ce n’est pas possible!

Avez-vous des regrets?

Je ne crois pas aux regrets. Je déteste la phrase: «J’aurais donc dû.» Toute ma vie, j’ai essayé d’être une bonne personne. J’ai fait ce que j’ai pu avec ce que j’avais.

À la veille de vos 100 ans, avez-vous renoué avec la foi?

Pas du tout! Je considère que je me suis fait avoir avec des mensonges. Toutes les religions propagent l’idée d’une vie après la mort pour nous faire endurer la misère. Je crois qu’on n’a qu’une vie, et c’est pour cette raison que j’y tiens tant. Je ne veux pas perdre une seconde, car je sais qu’il n’y aura rien après...

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