J’ai travaillé six semaines chez Amazon, où la productivité est plus importante que le bien-être des employés
Notre journaliste a oeuvré chez Amazon en 2020, dans le cadre d'une enquête journalistique.
Dominique Cambron-Goulet
En 2020, dans le cadre d’une enquête, notre journaliste Dominique Cambron-Goulet a travaillé six semaines chez Amazon, où il a été témoin des conditions de travail très difficiles que dénoncent des employés qui veulent aujourd’hui se syndiquer. Encore à ce jour, il s’agit d’une démarche journalistique inédite au Québec. Il nous raconte son expérience.
Classer un article toutes les dix secondes, emballer 67 colis à l’heure, 10 heures par jour, le tout en étant constamment monitoré et surveillé: voici à quoi ressemble la vie d’un «Amazonien» dans un des entrepôts québécois qui fermeront prochainement leurs portes.
Quand j’ai travaillé au centre YUL 2 à Lachine, le géant américain venait d’ouvrir son premier entrepôt en sol québécois.
J’y ai été témoin des raisons pour lesquelles ceux qu’Amazon appelle des amazoniens ont souhaité former un syndicat de travailleurs pour améliorer leurs conditions de travail. Un élan qui a mené à la reconnaissance en mai dernier d’un syndicat dans un centre de distribution de Laval, seulement le deuxième du genre en Amérique du Nord.
Des tâches dictées
Les entrepôts d’Amazon sont de véritables temples de la productivité, qui donnent parfois l’impression de vivre dans les romans Le meilleur des Mondes d’Aldous Huxley ou 1984 de George Orwell.
Connecté à mon poste de travail, je me faisais dicter les tâches l’une après l’autre avec pour principale compagnie des véhicules autonomes déplaçant des milliers de produits destinés aux consommateurs.

«Prends le paquet de gommes dans le casier M4, mets-le sur la tablette X47W4, prends la poupée dans le casier B2, mets-la sur la tablette X47W5, prends une boîte format A5, emballe les produits de la tablette X47W4, prends une boîte de format B1, emballe les produits de la tablette X48W7», etc.
Rien à évaluer, rien à quoi réfléchir, toutes les tâches sont prescrites, déterminées, calculées. L’ordinateur me disait même quand je devais utiliser un escabeau pour aller cueillir un objet en hauteur et coupait le ruban adhésif à la bonne taille selon la boîte prévue.
Scrutés en tout temps
J’étais aussi filmé en tout temps par des caméras de surveillance, ai-je appris sur place. Une pratique déjà jugée trop invasive par le Tribunal administratif du travail.
Pour un salaire de 17$ de l’heure, en 2020, les objectifs de performance étaient très élevés, voire impossibles à réaliser sans mettre une croix sur mes envies d’uriner.
Quand je rassemblais les produits des commandes, je devais retirer un article toutes les 10 secondes, qu’il s’agisse d’une barre de chocolat ou d’une boîte de 1500 feuilles de papier. Quand j’emballais, c’était 67 colis à l’heure.

Sur mon écran, ma performance était affichée en temps réel afin de me rappeler à l’ordre si je prenais trop mon temps.
Des données évidemment accessibles à mes gestionnaires qui voyaient en temps réel un classement des amazoniens.
Si j’avais été parmi les plus performants, peut-être aurais-je pu devenir mentor auprès des nouveaux, ou alors obtenir le vrai Graal, un badge bleu, celui qui confère la permanence et les réels avantages sociaux.
L’entreprise assure de son côté qu’elle respecte toutes les lois québécoises et que «rien n’est plus important que la santé et la sécurité de nos équipes».
Mais les blessures sont légion chez Amazon, comme l’ont déjà rapporté de nombreux médias américains. Et ce n’est pas étonnant.
Les employés, qui sont ici en majorité de nouveaux arrivants, ont besoin de conserver leur emploi pour survivre et s’éreintent à la tâche.
Ils limitent aussi les absences, qui, dans un système de points bien propre à Amazon, peuvent empêcher le versement de bonis et évidemment restreindre l’accès au fameux badge bleu.
À ne pas manquer
L’envers d’Amazon, un documentaire de notre Bureau d’enquête accessible sur illico+.
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