Publicité
L'article provient de 24 heures

J’ai été droguée dans un bar

La reporter de 24 heures Léa Martin.
La reporter de 24 heures Léa Martin. Photo courtoisie, Daniel Coulombe
Partager
Photo portrait de Léa  Martin

Léa Martin

2024-05-27T18:30:00Z
2024-05-27T18:33:03Z
Partager

TÉMOIGNAGE À 28 ans, après plus de 10 ans à visiter les bars montréalais, quelqu’un m’a droguée à mon insu lors d’un vendredi soir festif comme les autres. Une histoire plutôt banale, qui arrive sûrement tous les week-ends, même si elle laisse des traces indélébiles.

La banalité de ce phénomène réside dans le fait qu’il arrive tout le temps. Pourtant, à en croire le bar où j’étais, ça n’arriverait jamais.

«On est vraiment désolé, mais on veut vous rassurer, ça n’arrive jamais chez nous d’habitude», m’a dit au téléphone la propriétaire du Ping Pong Club, à Montréal.

• À lire aussi: Le GHB, ou drogue du viol, maintenant détectable dans toutes les urgences

Une ou deux fois par an, on nous présente LE nouveau sous-verre ou LA nouvelle paille qui change de couleur au contact de la drogue. Des gadgets que je n’ai personnellement jamais vus dans un bar.

On nous sensibilise à l’importance de ne pas laisser son verre sur la table lorsqu’on va danser ou lorsqu’on sort fumer. On nous dit qu’il ne faut pas accepter un verre qui n’est pas tendu directement par le barman.

J’ai suivi toutes ces règles. Pourtant, je me suis quand même fait droguer...

Publicité

Comprendre ce qui t’arrive

Il y a celles qui vont à l’hôpital directement, à qui on a le temps de faire passer un test pour identifier la substance avant qu’elle ne quitte l’organisme sans laisser de traces.

Puis, il y a celles, comme moi, qui ouvrent les yeux brusquement d’un sommeil profond, le lendemain, sans savoir comment elles sont rentrées.

Après plus de 10 ans à perfectionner mon art de la fête, quand je me suis réveillée, j’ai tout de suite compris que quelque chose ne tournait pas rond.

• À lire aussi: On prend un café avec Catherine Fournier, un an après sa prise de parole

Il faut savoir que, même très amochée, je ne vais JAMAIS me coucher sans avoir fait mon skin care complet. Mais ce matin-là, je me suis réveillée les yeux collés par le mascara et mon manteau sur le dos.

Je ne me souviens de rien, mais j’ai le flash d’un gars qui traînait près du bar, pas trop loin de moi. J’ai un très mauvais pressentiment.

Ma mère me voit sortir de la chambre. Même si elle m’a souvent vue en lendemain de veille, elle me lance: «Oh, toi, ça ne va pas du tout. Qu’est-ce qui se passe?»

Publicité

Elle s’approche ensuite de moi et ausculte mes bras, mes jambes...

«Maman, je pense qu’on m’a droguée», ai-je lâché sans trop d’émotions.

• À lire aussi: Les femmes craignent moins les ours que les hommes (et c’est compréhensible)

48 heures d’enfer

Je texte aussitôt une de mes amies pour essayer de reconstruire la fin de la soirée dans ma tête.

«Je t’ai ramenée à la maison, me dit-elle. Tu avais l’air pas mal amochée.»

Mes amies pensaient simplement que j’avais trop bu.

Après avoir eu la confirmation que personne ne m’avait fait de mal, ma mère m’a forcée à passer à la pharmacie. Moi, je ne voulais parler à personne, de peur qu’on me dise qu’on ne me croyait pas, que j’avais simplement trop bu.

  • Écoutez l'entrevue avec Léa Martin, journaliste au 24 heures au micro d’Alexandre Dubé via QUB :

J’explique tout à la pharmacienne: la soirée, le réveil, le mal de tête, mes pupilles énormes, puis les tremblements, les nausées et les idées floues.

Elle confirme mes doutes. Elle me conseille aussi d’aller faire un test sanguin, dans l’éventualité où je veuille porter plainte.

Mais je n’en ai pas la force. Je suis exaspérée juste à l’idée de me taper quatre heures d’attente à l’hôpital, de parler à une infirmière qui va sûrement me dire que j’ai trop bu et à un policier qui me demandera peut-être comment j’étais habillée ce soir-là.

Publicité

• À lire aussi: Briser le silence: elle passe huit mois avec des victimes de violence conjugale

L’hôpital

Trois jours plus tard, j’ai encore de drôles de symptômes. La lumière du jour me fait mal aux yeux, je dors toute la journée, j’ai le souffle court et le moindre bruit brusque me fait sursauter.

J’appelle Info-Santé, qui me suggère d’aller à l’urgence. Mardi soir, vers 21h, j’arrive avec mon amoureux à l’Hôtel-Dieu de Québec. Je passe rapidement au triage, où une infirmière me demande la raison de ma visite.

«J’ai été droguée au bar vendredi soir et j’ai encore des symptômes.»

Elle m’arrête alors pour faire une blague à un ambulancier qui passe par là.

Elle prend mes signes vitaux, pendant que je lui raconte mon histoire. Elle me demande si j’ai beaucoup bu ce soir-là et si je suis certaine d’avoir été droguée. Elle me demande aussi si j’ai été agressée sexuellement. Je lui réponds que non.

Elle me lance alors: «Mais là, vous vous attendez à quoi de nous ce soir?»

Un peu perplexe, je lui réponds que j’aimerais voir un médecin. Elle m’avertit alors, avec un air qui me paraît agacé, que je devrai patienter et que c’est lui qui déterminera si c’est pertinent de faire un test de dépistage des drogues.

Trois heures et demie plus tard, un docteur appelle mon nom. Je lui raconte de nouveau mon histoire. Son regard pivote entre mon visage et le document qu’il a devant lui. J’ai l’impression qu’il veut s’assurer que je raconte la même histoire qu’à sa collègue.

Publicité

Il me fait passer des tests, mais après cinq jours, il se peut qu’on ne trouve rien, me prévient-il. «Vous êtes peut-être en stress post-traumatique», ajoute-t-il, avant de me prescrire un arrêt de travail de quelques jours.

Je n’ai encore eu aucune nouvelle de mes tests sanguins.

Je n’ai pas non plus eu de nouvelles de la police, à qui la gérante du bar a envoyé les images des caméras de surveillance. Une employée m’a appelée, deux jours après la soirée où je me suis fait droguer, pour me dire qu’elle avait été choquée par mon histoire, que j’avais partagée sur les réseaux sociaux.

• À lire aussi: 4B Movement: ces femmes qui ne veulent plus des hommes en Corée du Sud

Briser le silence

Pourquoi avoir décidé de raconter mon histoire dans ce texte?

Pour briser le silence, la solitude et les doutes qui viennent avec ce type d’agression.

Grâce à mes fabuleuses amies, cette soirée-là, je suis rentrée chez mes parents saine et sauve. Grâce à ma magnifique famille, j’ai été réconfortée. Et grâce à ma magnifique communauté avec qui j’ai partagé ma rage sur les réseaux sociaux, j’ai trouvé la force d’écrire ce texte.

Ces agressions deviennent «banales», parce qu’on ne les dénonce pas assez. Parce qu’on les vit en silence. Je comprends celles qui ne veulent pas partager leur expérience sur la place publique, parce que l’idée de ne pas être crue est terrifiante. Mais sachez que vous n’êtes pas seules.

Si c’était à refaire, j’aurais directement appelé un organisme comme Viol-Secours pour avoir plus de ressources et un soutien plus adapté.

Et à la personne qui nous a fait vivre ça, à moi et à mes proches, pour nous tou.te.s, je te souhaite de réaliser tout le mal que tu as fait. Mais surtout, de regretter ton geste minable.

Publicité
Publicité