Jacques Parizeau, le professeur qui savait parler aux jeunes

Aïcha Van Dun, Présidente de l’exécutif du Parti Québécois, Repentigny
Il y a dix ans, le 1er juin 2015, Jacques Parizeau, l’ancien premier ministre du Québec, nous quittait, laissant derrière lui un héritage colossal qui fait l’unanimité dans tous les milieux, tant dans la classe politique que dans le monde des affaires. Les moins de quarante ans, malheureusement, le connaissent peu.
Pour décrire ou rappeler l’être d’exception au parcours hors-norme qu’était Parizeau, toutes sortes de formules ont été employées: économiste diplômé de la prestigieuse London School of Economics; influent conseiller économique de Jean Lesage; professeur honoraire compétent et adulé à HEC Montréal; parrain de la Caisse de dépôt et placement du Québec; architecte de la Révolution tranquille; député, ministre et figure de proue du Parti Québécois, dont il fut le plus pugnace des chefs; dérangeant et controversé porte-étendard de l’indépendance; incomparable bâtisseur du Québec moderne, et j’en passe.
Tout cela est juste. Mais pour la «génération Parizeau», dont je me réclame fièrement, Jacques Parizeau sera toujours le professeur qui savait parler aux jeunes.
Avec son complet trois-pièces, sa condition de bourgeois, son humour et ses manières d’une autre époque, disons que «Monsieur» n’avait pas, à première vue, tellement d’atouts pour attirer les jeunes. Et pourtant, quand il allait à la rencontre des étudiants dans les cégeps et les universités, les salles débordaient!
Le moment souverainiste
C’est monsieur Parizeau, entendu en conférence au collège de L’Assomption, où je menais sagement mes études collégiales, qui a fait de moi une indubitable souverainiste.
Jusque-là, mes parents m’avaient communiqué leur amour de la culture québécoise, mais ils l’avaient fait essentiellement en passant par le pays chanté par Félix, Vigneault ou Pauline Julien. Or Parizeau, dans son impressionnant discours, embrassait tellement plus large! Il nous parlait de commerce, d’administration publique et de politique étrangère avec panache et passion, en faisant appel à notre intelligence, et surtout de façon totalement décomplexée! C’était la première fois que j’entendais un Québécois parler d’argent avec autant de force et d’assurance! Je ne l’ai jamais oublié.
Je termine en vous relatant ce qui s’est passé au 12e Congrès du Parti Québécois, en août 1993, pour mieux illustrer la relation que Jacques Parizeau entretenait avec les militants de son aile jeunesse.
À cette époque, le président du Conseil national des jeunes (CNJ) du Parti Québécois, le jeune Christian Picard, souhaitait que son exécutif parvienne à réformer les statuts de façon importante. Il voulait donner davantage de poids aux jeunes dans le parti en soumettant un ensemble de propositions pensées par son équipe. Il faut savoir qu’en ce temps-là, le président du CNJ et son exécutif étaient élus par l’ensemble des délégués, et non seulement par les jeunes. Par ailleurs, les jeunes n’étaient pas représentés à l’exécutif national du parti. L’objectif derrière cette démarche était que les représentants du CNJ cessent d’être de simples porte-parole du parti auprès des jeunes pour devenir de véritables représentants des jeunes auprès du parti.
Ovation
Hélas, sur le plancher du congrès, les jeunes militants firent face à d’énormes résistances. On accusait notamment le CNJ de vouloir créer un «parti dans le parti» qui exigerait d’importantes ressources financières. On les invitait à exprimer leurs idées et à les faire cheminer dans les instances locales et régionales.
Alors que tout semblait perdu, Christian alla trouver «Monsieur» pour lui demander d’intervenir. On sait qu’il est rare qu’un chef intervienne ainsi en congrès. Mais voilà que Parizeau se lève, se dirige vers le micro «pour» et lance: «Jacques Parizeau, 63 ans!». Évidemment, la salle éclate de rire! Le chef poursuit: «Nous ne pouvons pas gagner l’élection et le référendum sans l’importante contribution des jeunes. Leurs propositions sont raisonnables! Appuyons-les!»
Réaction de la salle? Ovation debout!
Ultimement, l’intervention de Jacques Parizeau fut décisive puisqu’une majorité de délégués approuva les audacieuses propositions de l’exécutif du CNJ.
C’est de ce Jacques Parizeau que ma génération se souvient aujourd’hui. Celui qui, comme tout bon professeur, savait parler aux jeunes!

Aïcha Van Dun
Présidente de l’exécutif du Parti Québécois, Repentigny