J’ai mis mon drapeau en berne
Avons-nous encore la force de nous battre pour quelque chose de plus que notre petit bonheur personnel?


Joseph Facal
Au salon funéraire, on se retient habituellement de dire du mal du défunt, même si c’est justifié.
Quand on vous met un nouveau-né dans les bras, vous dites ce que les parents et la famille veulent entendre.
Ce sont de petits mensonges sans gravité qui servent, si je puis dire, à lubrifier les rapports humains.
Fierté
Je n’ai pas envie de lubrifier.
Mardi, je n’ai pas «fêté» notre fête nationale.
Je n’ai pas fêté parce que je n’ai pas le cœur à la fête.
Je ne vois pas de motifs d’être fier et jovial.
Dites cela et il se trouvera un cave pour dire qu’il est très fier, lui.
De quoi? De sa «grosse cabane», de ses trois trucks, de sa piscine creusée?
Le 24 juin est censé célébrer le Québec français au complet, pas la réussite individuelle selon des critères bêtement mercantiles.
Des hôpitaux tiennent avec du ruban gommé.
Des écoles publiques tombent en ruine.
Nos finances publiques sont dans un état catastrophique.
Le dernier grand projet public ayant respecté son budget et son échéancier fut... j’ai oublié.
Développement économique? Pierre Fitzgibbon sait-il au moins ce que c’est que d’avoir honte?
La langue française recule, selon tous les indicateurs disponibles.
Toute une coterie d’individus stipendiés travaille pour fort pour le dissimuler.
Chez les jeunes, les Québécois de souche sont devenus un groupe ethnique parmi d’autres: les «Kebs».
Bien au-delà de l’utilité de savoir parler anglais (quel crétin va nier cela?), on tripe sur tout ce qui est anglophone: les artistes, les prénoms, le divertissement débile.
Dites cela dans une région éloignée de Montréal et on se demandera de quelle planète vous arrivez.
Là-bas, cet effacement culturel n’est pas apparent.
C’est aussi cela, le drame du Québec: la région métropolitaine et le reste du Québec ne se reconnaissent plus.
Il n’est pas évident de dire gentiment à des gens au Lac-Saint-Jean que ce n’est pas chez eux que se joue le sort du Québec.
Souvent, quand je regarde une série télévisée de chez nous, je dois retourner en arrière pour réécouter, tant les jeunes comédiens sont incapables d’articuler convenablement.
Politiquement, les revendications du Québec sont rejetées avant même la fin de la phrase.
Séquelles
François Legault parle tantôt de notre «louisianisation», tantôt de notre épanouissement dans le Canada.
Mais nous, avons-nous encore la force de nous battre pour quelque chose de plus que notre petit bonheur personnel?
Tout ça est partiellement le résultat de l’échec de 1995: la fausse couche a laissé de cruelles séquelles.
Une épaisse couche de morosité et de défaitisme s’est installée dans les esprits et s’est transmise.
Les Cowboys Fringants chantaient: «Si c’est ça l’Québec moderne, ben moi j’mets mon drapeau en berne».
À un moment donné, il faut arrêter de faire semblant.
Pourtant, je m’accroche.
Malgré l’envie de hurler ou de brailler.
Debout, Québécois!