J.-A. Bombardier: notre Henry Ford version nordique


Gilles Proulx
S’il y a un véhicule motorisé parfaitement adapté à notre hiver blanc et rigoureux, c’est bien la motoneige, cette création de Joseph-Armand Bombardier (1907-1964), dont on a du mal à imaginer que, sur le coup, elle a pu paraître incroyable!
Petit gars de la ville, né et élevé à Montréal, je dois confesser que j’ai complètement ignoré qui était ce monsieur Bombardier ou sa motoneige (ou autoneige) avant de sortir de la métropole, à l’âge de 22 ans.
La veille de Noël 1962...
En ville, c’était l’auto ; en région aussi, pendant l’été. Mais aussitôt que l’hiver rendait les routes les plus lointaines impraticables, un autre moyen de locomotion s’imposait... dont les urbains ne soupçonnaient pas l’existence : la Bombardier!
Ma découverte émerveillée de la Bombardier me ramène à une veille de Noël comme aujourd’hui, mais en 1962.
C’était à Matane, chez des hôtes chaleureux et accueillants avec le jeune homme esseulé que j’étais dans cette contrée lointaine, complètement coupé des miens, parce que je faisais mes premiers pas à la radio.
Après la messe et le repas fort copieux, nous étions partis vers la montagne très enneigée à bord d’un véhicule carré et jaune assis sur des chenillettes, d’un genre que je n’avais jamais vu.

Devant mon air ahuri, l’animateur alors bien connu, Jean-Marie Provost, de CKBL, m’avait dit : «Ça, mon cher jeune homme, c’est une Bombardier ! Vous allez voir, avec le temps, comment ce monstre qui ne craint pas la neige ne sera pas un yéti des montagnes, mais un instrument de secours et de loisirs.»
Bref, cet homme qui allait être mon mentor à la radio venait de jouer les devins : nous allions assister bientôt à la fracassante et vrombissante mode de la motoneige, communément appelée ski-doo.
Je ne me doutais pas en prenant place derrière cet engin (dont je ne suis plus certain du modèle) que cet ingénieux véhicule avait été créé trente ans plus tôt par un père de famille endeuillé dont le fils était mort à défaut de pouvoir rapidement le mener à l’hôpital, en raison de la neige...
La mort de son fils
Quand Joseph-Armand Bombardier a perdu son fils en 1934, il a juré de gagner, sur la neige, le combat de la vitesse. Résultat : lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclatera, son invention sera déjà assez rapide pour être utile à l’armée dans ses opérations nordiques.
Se sont ensuivis de gros et juteux contrats avec la défense nationale, qui ont fait de J.-A. Bombardier un homme riche. Après la guerre, ce fut, comme on sait, les années de la société des loisirs... qui a transformé petit à petit la motoneige en engin d’amusement.
Dix ou quinze ans après ma découverte de la Bombardier à Matane, dans les chalets où je me rendais en hiver, le phénomène de la motoneige était déjà tellement endémique que l’hiver en campagne n’était plus du tout tranquille. C’était un ronronnement permanent.
C’était aussi la liberté totale : pas de casque, vitesse, souvent aussi, alcool. On ne comptait plus les morts.
Je me souviens aussi d’un grand reportage de Pierre Nadeau qui, dans un documentaire de l’ONF, parlait de ce grand dérangement motorisé sur les populations animales effrayées par ce soudain boucan.
Ce Far West de la motoneige a fini par se civiliser un peu, et ce sport bien aimé par ses adeptes est devenu un incontournable de l’hiver.
Quant à Bombardier, on a un peu oublié l’homme, mais le nom, lui, est demeuré. Sans doute se souvient-on si mal de lui parce que, notamment, il est mort prématurément, à 56 ans seulement, d’un cancer, en février 1964. Eh oui, c’était 14 mois seulement après mon initiation à son invention, une veille de Noël comme aujourd’hui, il y a exactement 60 ans.