Des gardiens de prison violents: un détenu qui aurait subi des sévices raconte l'enfer
Un détenu atteint d’une maladie neuropsychiatrique poursuit Ottawa pour 1,5M$
Marc Sandreschi
Un détenu poursuit le gouvernement du Canada et son service correctionnel pour plus de 1,5 million $ à la suite d’agressions physiques et de sévices psychologiques que lui auraient infligés pendant des années des gardiens de prison.

Invitation à se suicider et à se battre, menaces, intimidation, voies de fait, agression armée et utilisation injustifiée d’aérosols inflammatoires: des gardiens auraient fait vivre un véritable calvaire à Frédéric Surprenant, un autochtone de 36 ans atteint notamment d’une maladie neuropsychiatrique.

«Ils font tout pour me faire exploser. Si ça continue, ils vont me tuer», nous a confié Frédéric Surprenant, lors d’une entrevue au téléphone.
Le détenu a passé la moitié de sa vie derrière les barreaux après avoir été reconnu coupable d’une soixantaine d’accusations. La grande majorité de ces infractions se sont produites en prison à l’encontre de codétenus ou d’agents correctionnels.
Se disant victime lui-même de nombreuses agressions commises par des gardiens à l’intérieur des murs, Surprenant a déposé en février 2021 une poursuite en dommages et intérêts contre le gouvernement canadien et Service correctionnel Canada (SCC) [voir extraits de la poursuite]. Ces allégations n’ont pas encore été prouvées devant la Cour fédérale.
«C’est urgent, il a besoin d’aide»
Sa requête lève le voile sur des comportements troublants relevés à l’Unité spéciale de détention (USD), le «super-maximum» du Centre régional de réception de Sainte-Anne-des-Plaines, où Frédéric Surprenant a été détenu de 2017 à janvier dernier.
Cet endroit serait l’une des prisons où les conditions sont les plus difficiles au Canada et violeraient même les droits de la personne, selon des analyses faites par un criminologue et un groupe d’avocats qui s’est adressé au Sénat [voir autres textes plus bas].

«Il y a quelques jours, Fred disait nous aimer en sanglotant au téléphone ; c’est urgent, il a besoin d’aide», déplore sa mère, Sandra Frey, impuissante et affligée.
Donnacona aussi visé
Les sévices allégués par Surprenant ne seraient pas survenus uniquement à Sainte-Anne-des-Plaines. Il aurait été agressé sexuellement par des codétenus à l’Établissement de Donnacona en 2005, sans qu’on lui porte secours, peut-on lire dans sa poursuite.
Déclaré délinquant dangereux en novembre 2017, Surprenant purge une peine d’emprisonnement indéterminée. Il a quitté le « super-maximum » le 31 janvier dernier pour intégrer l’établissement de Port-Cartier, où il se trouve depuis.
En réponse à nos questions, Service correctionnel Canada (SCC) affirme prendre très au sérieux le bien-être des délinquants dont il a la charge. Par courriel, la porte-parole indique que les agents sont formés pour intervenir de façon pacifique en recourant à l’intervention verbale. Ils n’utilisent l’intervention tactique qu’en dernier recours, soutient-elle. Ce dossier étant devant les tribunaux, le SCC n’a pu le commenter davantage.
Qui est Frédéric Surprenant
- Il est condamné depuis 2004 pour une soixantaine d’accusations criminelles, dont la majorité pour des événements qui se sont produits en prison. Il a notamment été reconnu coupable d’avoir séquestré des codétenus ainsi que d’avoir menacé, frappé et intimidé des agents correctionnels.
- Sa plus lourde peine remonte à 2013, alors qu’il a écopé de quatre ans de pénitencier pour avoir pris en otage un codétenu à la pointe d’un pic artisanal. Après plusieurs incidents violents en prison, il est déclaré délinquant dangereux en 2017.
- Depuis le début de son incarcération, on lui reproche des réactions violentes, d’avoir craché et lancé des excréments en direction des agents en plus de s’être désorganisé mentalement à répétition.
Extraits de la poursuite
«Il a reçu des coups de pied à la tête et a même reçu une invitation à se battre de la part d’employés.»
Il a «subi des conditions de détention inhumaines [...], il a été privé de médicaments, privé d’électricité en cellule, privé de nourriture».
Il a «des séquelles psychologiques et physiques permanentes de toutes les maltraitances subies».
On l’a «maintenu reclus un minimum de 20 heures sur 24 depuis plus de 4 ans, et ce, sans contact
humain».
«Le SCC continue d’utiliser des mesures d’isolement contre le demandeur, et ce, malgré l’abolition de l’isolement cellulaire au fédéral depuis 2019.»
Presque de la torture, dit un expert
Le détenu Frédéric Surprenant aurait été enfermé pendant plus de huit mois consécutifs dans une cellule d’isolement préventif, une durée qui pourrait correspondre à de la torture, selon un criminologue qui se réfère aux critères établis par l’Organisation des Nations unies (ONU).
Dans la foulée de sa poursuite de 1,5 million $, Frédéric Surprenant a mandaté le criminologue Philippe Bensimon pour dresser un rapport d’expertise sur ses conditions de détention à l’Unité spéciale de détention (USD) de Sainte-Anne-des-Plaines.
Frédéric Surprenant aurait passé 249 jours consécutifs en isolement, plus de 20 heures sur 24, dans une cellule en béton de 75 pieds carrés sans luminosité extérieure, peut-on lire dans le rapport du criminologue produit en mai 2021. L’expert a eu à évaluer, superviser et encadrer plus de 1000 dossiers criminels par le passé.
Le criminologue rappelle que l’ONU qualifie de «torture» tout isolement dans un centre de détention qui dépasse 15 jours consécutifs.
Selon M. Bensimon, les répercussions pour la santé mentale d’une personne placée dans de telles conditions peuvent être fatales. Frédéric Surprenant aurait d’ailleurs tenté de s’enlever la vie à plusieurs occasions, dans la petite cellule fermée par une lourde porte où il se trouvait.
Première au Canada

Le criminologue souligne que l’ONU a aussi établi que «le recours à l’isolement cellulaire devrait être interdit pour les détenus souffrant d’une incapacité mentale». Or, Surprenant souffre notamment de la maladie neuropsychiatrique Gilles de la Tourette depuis l’âge de sept ans, ce qui était connu de l’établissement carcéral.
«À ma connaissance, ce cas constitue véritablement une première au Canada, lorsque l’on sait que la détérioration de son comportement s’est construite à l’intérieur des murs», affirme le criminologue dans son rapport.
L’expert n’est pas le seul à s’être penché sur le cas de Surprenant. Avant même le dépôt de la poursuite au civil, de nombreuses plaintes avaient été déposées à l’attention du Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada (BEC), l’ombudsman des détenus fédéraux.
Dans un rapport que nous avons pu consulter, le BEC constate plusieurs anomalies dans la façon d’intervenir auprès de Surprenant. Il évoque des emplois abusifs de la force, des coupures d’électricité, de nourriture et de médication pendant quelques jours, en plus de violences physiques et verbales.
Un agent aurait d’ailleurs suggéré à Surprenant de se pendre, peut-on lire.
Le directeur et conseiller juridique du BEC, Jean-Frédéric Boulais, a manifesté ses inquiétudes sur la détention de Surprenant, la qualifiant de «situation abjecte et inhumaine».
«J’ai de plus en plus la ferme conviction que les intervenants de l’USD ont tout intérêt à ce que les mesures prises en place depuis des années ne soient pas remises en question», écrit-il dans ce rapport d’enquête.
La pire prison au Canada
Les conditions de détention «inhumaines et dégradantes» que vivraient les détenus au «super-maximum» de Sainte-Anne-des-Plaines ont été dénoncées dans un mémoire par un groupe d’avocats au Sénat, qui s’est penché sur cette affaire.
Dans son rapport produit en 2019, le cabinet Simao Lacroix qualifie l’Unité spéciale de détention (USD) comme étant la plus restrictive au Canada. Les avocates allèguent des privations de contact humain, des gestes à caractère sexuel lors de fouilles, des insultes ainsi que de longues périodes sans électricité.
Ce mémoire visait à alerter le Comité sénatorial des droits de la personne sur les conditions de détention des prisonniers de ce « super-maximum », où était d’ailleurs détenu Frédéric Surprenant.
Les avocates ont recueilli les témoignages de prisonniers qui soutiennent s’être fait couper le courant de leurs cellules jusqu’à trois jours, car ils avaient des conflits avec des gardiens. Des personnes d’origine autochtones disent avoir été traitées couramment de «sauvages» et de «sales indiens».
Uriner dans l’évier
D’autres ont indiqué «avoir été forcés d’uriner dans l’évier et de déféquer dans un sac de plastique», parce que des officiers auraient refusé de prendre des mesures pour déboucher leurs toilettes.
«Certains prisonniers rapportent être victimes de gestes à caractère sexuel lors des fouilles, notamment se faire toucher leurs parties génitales et d’avoir des gardiens qui se frottent leur corps contre eux», peut-on lire dans ce même rapport.
Ces témoignages sont d’autant plus préoccupants que dès le début des années 2000, le Bureau de l’enquêteur correctionnel remettait en question l’existence même de cet établissement. Il soulevait alors les problématiques concernant ce « super-maximum » et les effets préjudiciables des conditions de détention sur les personnes qui y sont incarcérées, rappellent les auteures.
Le comité sénatorial a étudié ce mémoire, qu’il a cité dans un rapport de juin 2021. Ce dernier exprime «une préoccupation considérable quant aux conditions de détention des prisonniers, surtout dans les unités d’isolement», a déclaré par courriel la sénatrice Salma Ataullahjan, présidente de ce comité.
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