Interdiction des plastiques à usage unique: un «sacré casse-tête» pour des bars laitiers de Montréal
L’interdiction du plastique à usage unique cause bien des maux de tête aux bars laitiers montréalais, qui peinent à trouver des contenants qui respectent la nouvelle règlementation.

Olivier Faucher
L’interdiction du plastique à usage unique cause bien des maux de tête aux bars laitiers montréalais, qui peinent à trouver des contenants qui respectent la nouvelle règlementation.
«Ça a été un sacré casse-tête, déplore Nay Theam, propriétaire de La pause glacée, dans l’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Je pense que la réalité des commerces saisonniers a peut-être été mise trop de côté dans tout ça.»
Slush, mont-blanc, lait frappé, coupe glacée: les produits offerts dans un commerce comme le sien nécessitaient de nombreux formats de contenants en plastique à usage unique qui sont bannis par la Ville de Montréal depuis le 29 mars dernier.
Cela fait des bars laitiers un secteur particulièrement affecté par cette transition imposée, selon Martin Vézina, Vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association Restauration Québec.
« Ils vont avoir une plus grande transition à faire. On bannit tous les verres en plastique, ce qui est différent des autres contenants alimentaires parmi lesquels c’est seulement les plastiques problématiques [de familles] 6 et 7 qui sont bannis»
«Il manque de stock»
Les dernières semaines n’ont pas été de tout repos pour le bar laitier Crème que c’est bon, situé sur la rue Hochelaga, qui a de la difficulté à s’approvisionner en contenants règlementaires.
«Il manque de stock, soutient la co-propriétaire, Karine Pouliot. On n’est pas capables d’avoir les mêmes grosseurs [de contenants]. Les couvercles sont disponibles sur certains contenants, d’autres pas du tout.»
Cela rend ses produits moins adaptés aux familles notamment. «Une slush sans couvercle pour un enfant, ce n’est pas génial. Les gens nous regardent en voulant dire: “c’est une joke? ” Ben non. C’est ça!»
Si elle est en faveur du règlement, Mme Pouliot croit que le délai donné par la Ville aux commerçants pour s’adapter était «trop court».
«On n’a pas grand place où on peut s’approvisionner. La Ville nous impose quelque chose, mais les fournisseurs ne sont pas obligés de nous vendre un produit.»
Du côté de Maître Glacier, sur l’avenue Papineau, on tente encore de trouver des solutions de rechange pour les 20 sortes de contenants en plastique qu’on utilisait auparavant.
«Je pense que ça va bloquer et ça va occasionner un problème parce qu’on [les bars laitiers] va tout commander en même temps», craint le propriétaire franchisé Richard Bluteau.
Elle les revend sur la Rive-Sud
En fermant sa crémerie pour l’hiver à l’automne dernier, Mme Theam avait encore en stock des milliers de contenants en plastique qui ne seraient pas autorisés à sa réouverture au mois d’avril. Elle avait tenté de prévoir le coup en achetant à l’été 2022 des contenants écologiques, mais elle s’est butée à des pénuries de stocks.
«Quand j’ai pris contact avec la Ville, il n’y avait pas de délai de grâce qui était accordé pour les commerces saisonniers», affirme-t-elle, en précisant que c’est la réponse qu’elle a reçue jusqu’en février.
Elle a ainsi dû vendre à perte tous ces contenants de plastique... à une crémerie de la Rive-Sud.

«Ça m’a fait perdre 1000 à 2000$. En début de saison pour des commerces qui n’ont pas vraiment de coussin, ça peut devenir compliqué.»
Or, dans la dernière semaine, Mme Theam a appris via les nouvelles que le discours avait changé et que la Ville tolérerait que des commerçants épuisent leur stock. «Si j’avais su, je n’aurais peut-être pas vendu mes anciens contenants à perte», déplore-t-elle.
«Je suis de celles qui pensent qu’on ne peut pas dire quoique ce soit contre [l’objectif] de la Ville. Mais il y a eu un manque d’accompagnement pour une mesure qui est assez importante. On s’est un peu sentis laissés à nous-même», conclut Mme Theam.
Les commerçants ont eu assez de temps, selon la Ville
Les commerçants affectés par l’interdiction des plastiques à usage unique ont eu assez de temps pour s’y préparer, selon la Ville de Montréal, qui assure qu’il existe des solutions pour tous les types de contenants bannis.
«C’est un règlement qui a été annoncé en août 2021, qui a été adopté en septembre, et à partir de l’adoption, la Ville a prévu un délai de 18 mois. Il y avait cette période de délai assez longue pour donner ce temps de transition aux commerces», fait valoir Marie-Andrée Mauger, élue responsable de l’environnement à la Ville de Montréal.
Ainsi, la Ville souhaitait «éviter» les situations comme celles décrites par des propriétaires de bar laitier (voir autre texte), selon Mme Mauger.
«Je suis désolée d’entendre ça et je vais m’assurer qu’on fait le suivi auprès de cette commerçante.»
L’élue de Projet Montréal invite tout commerçant ayant besoin d’aide pour se conformer au règlement à communiquer avec le service Affaires Montréal, où un accompagnement est prévu à cet effet.
Une pression sur l’industrie
«L’analyse qui a été faite par le service de l’environnement de la ville de Montréal en amont de l’adoption de la règlementation était de s’assurer qu’il existait une option pour chacun des articles qui allaient être interdits», assure Mme Mauger.
La nouvelle règlementation de la Ville accentue toutefois rapidement la pression sur l’industrie qui fournit ces contenants, ce qui peut créer des problèmes, selon l’Institut de technologie des emballages et du génie alimentaires (ITEGA) du Collège de Maisonneuve.
«Ça les prend de court un peu parce que c’est arrivé vite à Montréal la nouvelle règlementation [...] Oui, ce sont des choses qu’on remarque [les pénuries de stock].», explique Anne Maltais, chercheuse à l’ITEGA.
Combinée à une demande qui est naturellement de plus en plus forte pour ce type de produit, la nouvelle règlementation de la Ville vient ainsi créer une espèce de choc sur l’industrie.
«Souvent, les emballages qui respectent les nouvelles normes, il n’y en a pas des tonnes des fournisseurs de ça, poursuit Mme Maltais. C’est là que c’est difficile quand c’est en rupture de stock. Tu ne peux pas te tourner vers d’autres fournisseurs.»