Immobilier: la réalité a frappé en 2023
Les paiements hypothécaires de plusieurs Québécois ont explosé

David Descôteaux et Martin Jolicoeur
Quand on parle d’immobilier en 2023, l'enjeu aura été celui des taux d'intérêt et de ses impacts sur notre budget.
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Beaucoup de propriétaires québécois ont vécu une année hors du commun, et pas reposante pour le portefeuille. Au cours de 2023, certains propriétaires ont vu leurs paiements mensuels doubler, tandis que d’autres, ayant des paiements fixes, ont vu la durée (amortissement) de leur hypothèque augmenter de 10 ou 15 ans, sinon plus.
«On n'a jamais autant parlé du taux directeur. En 2023, il faut que tu saches ce que ça veut dire si tu es dans le marché immobilier parce que ça joue directement sur tes actions. Ça a été un élément à surveiller constamment pour ceux qui achetaient ou ceux qui voulaient renouveler leur hypothèque», dit Mélanie Bergeron, courtière immobilière.
Pourtant, la Banque du Canada a augmenté le taux directeur de... seulement 0,75 point de pourcentage pendant l’année, fait remarquer Stéphane Bruyère, courtier hypothécaire chez les Architectes hypothécaires.
«L’histoire de 2023, c’est la prise de conscience que les effets réels de 2022 ont commencé. Ce qu'on a subi en 2023, c'est l'impact des hausses de la Banque du Canada en 2022», explique-t-il. En effet, la Banque a augmenté sept fois le taux directeur en 2022, le faisant passer de 0,25% à 4,25%. Or, quand la Banque du Canada prend une décision, les impacts sur l'économie se font sentir 12 à 18 mois plus tard.
«Ça fait longtemps qu'on dit que ça va arriver et frapper fort, mais on a commencé à le vivre durement en 2023. Les marges de crédit qui ont monté, les hypothèques, et les gens qui commencent à ralentir leur consommation parce qu’ils commencent à s'inquiéter.»
Pas de chute des prix
En 2023, les prix sont restés généralement stables. Certaines propriétés ont diminué en prix parce que des gens n'avaient pas le choix, ou se séparaient et devaient vendre vite. Mais dans l’ensemble, les vendeurs ont encore eu le gros bout du bâton en 2023.
«Ça a été un retour à l’avant-pandémie, à la normalité, dit Mélanie Bergeron. Après deux années à se lancer à gauche et à droite avec des prix démesurés et souvent au-dessus de leur budget, les gens ont recommencé à prendre leur temps et à magasiner, analyser ce que ça vaut vraiment», dit-elle.
On est passé d’environ 50 visites par week-end dans une maison et une vingtaine de promesses d'achat, à environ deux ou trois. Beaucoup de gens se sont retirés du marché, explique Mélanie Bergeron.
«Mais on n'a pas vu en 2023 le retournement de situation que plusieurs anticipent et la baisse des prix qui l'accompagnerait. Le vendeur s'en tire à très bon compte encore, même s'il doit négocier un peu plus.»
Des ventes en baisse, mais des prix qui résistent
Plombée par des taux hypothécaires maintenus à des niveaux encore élevés en 2023, l’activité résidentielle aura, pour une troisième année consécutive, fortement diminué dans la province. L’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec parle d’un recul de 13% par rapport à 2022, laquelle année avait aussi enregistré une diminution des transactions de 20% par rapport à 2021. Dans le grand Montréal, la même tendance s’est imposée, quoiqu’avec encore plus d’intensité: le nombre de transactions a diminué de 15% par rapport à 2022 et de pas moins de 35% par rapport à son sommet de 2020. Cela dit, malgré des délais de vente plus longs, un faible inventaire a permis aux vendeurs de maintenir les prix à tout le moins à leur niveau de l’an dernier. Au Québec, le prix médian d’une résidence unifamiliale s’établit aujourd’hui à 413 200$, une progression de 40% depuis 2020. Dans la région de Montréal, la médiane est de 539 800$ pour l’unifamiliale et de 390 200$ pour le condo, des hausses respectives de 35% et 28% comparativement à 2020.
Logement et abordabilité: la catastrophe
L’accession à la propriété demeure l’un des enjeux les plus problématiques et sous-estimés des gouvernements Trudeau et Legault. Le maintien du taux directeur élevé par la Banque du Canada et le ralentissement du marché de l’emploi ont fortement miné la confiance des consommateurs ces derniers mois. En ce qui a trait à l’habitation, ces derniers n’ont jamais été aussi pessimistes en 20 ans, note l’économiste de la Banque Nationale (BNC) Daren King. Les indices battent des records d’inabordabilité qui nous ramènent à ceux de 1980. Malheureusement, le marché locatif n’est guère plus accessible. La pénurie de logements combinée à un contexte d’explosion migratoire – la population du pays a crû de 3,2% en 2023, la plus forte hausse depuis 1958 – amplifient le phénomène. La Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) prévoit que le loyer d’un logement de deux chambres (un 4 et demi) à Montréal augmentera de 10% en 2024 pour atteindre une moyenne de 1230$ par mois, ou 14 760$ par année. Pour stabiliser la situation, l’industrie estime qu’il faudrait construire 600 000 logements par an, soit le double du record jamais atteint à ce jour. À court terme, personne n’y croit.
Les loyers explosent
Le déséquilibre entre l’offre et la demande a continué de rendre la vie dure aux locataires et aux chercheurs de logements. Le prix des loyers a explosé de 13,7% au Québec en seulement une année, la plus importante hausse depuis quatre ans, selon les données compilées par le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ). À Montréal, le prix moyen des loyers a augmenté de 14%, tandis qu’à Québec, les loyers ont augmenté de 19% par rapport à l’année dernière. Un nouveau projet de loi (31) pourrait être adopté en 2024, qui vise à encadrer les droits des locataires. Mais plusieurs volets demeurent sujets à débat, par exemple la cession de bail ou le fardeau de preuve à présenter par les propriétaires qui souhaitent évincer des locataires.
La construction de logements diminue
Alors que la crise du logement bat son plein, la construction résidentielle recule au pays... Au cours des six premiers mois de 2023, les mises en chantier ont chuté de 58% dans la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal par rapport à la même période en 2022, selon la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL). La lourde réglementation ainsi que la hausse des taux d’intérêt et l’inflation qui se répercutent sur les coûts de construction freinent la construction d’immeubles, et ce, partout au pays. La SCHL estimait l’été dernier que 3,5 millions d’unités supplémentaires devront être construites partout au pays pour rétablir l’équilibre du marché.
La «bombe hypothécaire» fait tic-toc...
Le renouvellement massif de prêts hypothécaires contractés durant la pandémie mènera à la possible mise en vente de propriétés, avance Philippe Lecoq, président de la bannière Proprio Direct. Beaucoup de gens ont pris des hypothèques d’une durée de cinq ans à l’époque de la COVID, à des taux aussi bas que 1,5%. Quand ils devront renouveler leur prêt – et c’est déjà commencé pour plusieurs –, leur paiement hypothécaire va bondir, puisque les taux actuels sont beaucoup plus élevés. Selon la RBC, 60% des prêts hypothécaires au pays devront être renouvelés au cours des trois prochaines années. En 2024, c’est environ 20% des hypothèques qui devront être renouvelées, et cela montera à 40% en 2025, souligne Philippe Lecoq. «On peut donc prévoir le retour à un marché actif, qui calibrera le déséquilibre actuel sérieux entre l’offre et la demande», dit-il.
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