L'or pour Imane Khelif: «Je suis une femme forte, une femme qui a une force spéciale»


Jean-Nicolas Blanchet
PARIS | «Je veux dire à la terre entière, à ceux qui étaient contre moi et qui ont mené une campagne sauvage contre moi. Voici ma réponse: une médaille olympique. Je suis une femme forte, une femme qui a une force spéciale [...] J’ai remporté la médaille d’or.»
Voilà ce qu’a lancé la boxeuse Imane Khelif quelques minutes après avoir remporté la médaille d’or au court principal de Roland-Garros, vendredi soir à Paris.
L’Algérienne de 25 ans a eu raison de la Chinoise championne du monde en titre, Yang Liu, par décision unanime après les trois rounds prévus.
Ça brassait encore énormément dans le stade fermé pour la boxe, dès qu’elle a été présentée pour son combat. Les drapeaux algériens étaient partout. Dès que ça commence, la foule part: Imane, Imane, Imane ou Algérie, Algérie, Algérie.
De l’opposition
Dès les premiers instants du combat, on voit que la boxeuse chinoise est agile et très athlétique. Khelif est agressive, mais Liu esquive bien. Et Khelif reçoit une bonne gauche avant de reculer. Pour la première fois en quatre combats, elle a vraiment de l’opposition.
La Chinoise y va le tout pour le tout à presque chaque attaque. Elle ne cherche pas à se rapprocher de l’Algérienne pour limiter l’impact de ses coups. Mais c’est risqué et elle en paie le prix. Dès que la Chinoise rate la cible, elle mange quelques coups de poing et tranquillement, Khelif prend le contrôle du combat.
Au deuxième round, Khelif domine encore, mais Liu n’abandonne. Je commence à me demander si on va se rendre au troisième round. Mais non, Yang Liu est encore debout et commence même à réussir à toucher Khelif à quelques reprises. Cette dernière sait que c’est dans la poche et fait simplement repousser les attaques. Et voilà, le troisième round se termine. Khelif jubile, le stade jubile.

Des frissons
Le sourire fendu jusqu’aux oreilles et en larmes, elle a bien pris le temps de savourer son moment, s’assurant de bien montrer sa médaille d’or aux nombreux photographes et au monde entier en leur suggérant de prendre plusieurs photos tout en donnant des dizaines de bisous à sa médaille. C’était difficile de ne pas avoir des frissons. Son entraîneur l’a prise sur ses épaules pour faire le tour du stade, avec les milliers de fans qui se rapprochaient.
C’est évidemment beaucoup plus qu’une médaille d’or. C’était une médaille qui divisait la planète. C’est devenu un enjeu de fierté nationale pour l’Algérie et bien plus.
«Ça n’a pas été facile. J’appellerai ça: la médaille d’honneur pour tous les Arabes [...] Je suis incapable de vous décrire ma joie [...] C’était mon rêve», a-t-elle lancé.

«J’ai subi du bullying et une campagne féroce. C’est ma plus grande réponse. La réponse a toujours été sur le ring [...] J’en ai fait une guerre», a aussi souligné Khelif à la chaîne télé beIN.
Dans les rues d’Alger, sur la place de la Grande Poste, c’était d’ailleurs la folie. Des vidéos circulaient vendredi soir pour illustrer les célébrations monstres.
Autour du stade à Paris, ça criait en Arabe: «Je suis une femme et j’en suis fier.»
«Ni Trump, ni Elon Musk, ni Meloni, ni la Fédération internationale de boxe, ni les boxeurs italiens, hongrois et thaïlandais, ni même la championne du monde chinoise, ni tous les tyrans et haineux des politiciens, des athlètes et des célébrités. C’est plutôt Imène, la femme algérienne, qui a surpassé tout le monde, grâce à la grâce de Dieu puis par son effort, sa patience et sa fermeté. Vive l’Algérie », a écrit Hafid Derradji, le commentateur sportif le plus populaire de l’Algérie, sur X, la plateforme appartenant à Elon Musk.
La saga
Liu, 32 ans, arrivait à Paris pourtant gonflée à bloc. Elle était devenue championne du monde l’an dernier après justement... la disqualification d’Imane Khelif pour avoir échoué à un test d’admissibilité de genre mené par l’Association internationale de boxe (AIB). La boxeuse tawaïnaise Lin Yu-Ting a subi le même sort. Cette dernière se battra pour l’or dans une autre catégorie de poids samedi.

Mais le Comité international olympique (CIO) n’a pas empêché les boxeuses de combattre à Paris.
Parce que le CIO ne reconnaît plus l’AIB.
Parce que le président de l’AIB, un oligarque russe, est soupçonné de vouloir déstabiliser les Jeux de Paris. Et il n’a pas trop bien paru depuis le début des olympiades en disant que tout était de la sodomie. La boxe aux Jeux est une «sodomie manifeste», le président du CIO est «le chef de la sodomie», la cérémonie d’ouverture était une «sodomie ouverte».
L’AIB n’a jamais voulu dévoiler précisément quels étaient les fameux tests d’admissibilité de genre malgré les nombreuses questions des médias. Le CIO a ainsi beaucoup de misère à prendre ces tests au sérieux. Khelif et Yu-Ting sont nées femmes, ont été élevées comme des femmes, font du sport avec les femmes depuis toujours et sont des femmes sur leur passeport. Ce sont donc des femmes et il n’y a jamais eu le moindre doute là-dessus, a dû réaffirmer le CIO cette semaine.
La controverse avait pris beaucoup d’ampleur le 3 août après le premier combat de Khelif, qu’elle avait remporté par K.O en 46 secondes devant l’Italienne Angela Carini. Khelif a ensuite facilement vaincu la Hongroise Anna Luca Hamori et la Thaïlande Janjaem Suwannapheng par décisions unanimes. Khelif compte 42 victoires, dont 6 par K.O et 9 défaites en carrière.

En carrière, l’adversaire de Khelif, Yang Liu avait une fiche de 25 victoires et 7 revers. Elle fait partie des rares athlètes chinois qui sont originaires de la Mongolie-intérieur, une région autonome au sein de la Chine, comme le Tibet. La Chine est accusée de commettre un génocide culturel dans cette région notamment en imposant le mandarin dans les écoles au lieu du mongol. À la fin des années 60, quand Mao Zedong a lancé sa révolution culturelle, la région autonome a été envahie par les autorités chinoises qui ont arrêté 346 000 personnes soupçonnées de s’opposer au régime chinois. Près de 16 000 ont été tués et plus de 81 000 ont été torturés et rendus handicapés de façon permanente.
- Avec la collaboration de Taïeb Moalla