Île d’Orléans: des ponts beaucoup moins chers ailleurs dans le monde
Des experts expliquent le coût de 2,76 G$ par le fait que c’est le privé qui assume les risques de dépassements de coûts
Pascal Dugas Bourdon et Yves Levesque
Le gouvernement Legault aurait pu payer moins cher pour le pont de l’Île-d’Orléans s’il avait accepté d’assumer plus de risques, mais le design choisi est sans contredit la meilleure option, indiquent des experts.
Le nouveau pont reliant l’Île-d’Orléans à Québec coûtera 2,76 G$ aux contribuables, a annoncé Québec mardi. Ce montant inclut le démantèlement de l’ancien pont et le réaménagement des accès de part et d’autre de l’ouvrage.
En comparant ces coûts avec ceux d’autres ponts construits récemment au Québec, au Canada et à l’international, il a été impossible de trouver un ouvrage aussi coûteux compte tenu de son achalandage (voir les vignettes au fil du texte).
Le pont Samuel-De Champlain, par exemple, a coûté plus cher, mais il est deux fois plus long et 10 fois plus de véhicules y circulent.
Le risque au privé
«Ça aurait été difficile d’avoir moins cher, sauf si le gouvernement avait géré le risque différemment», résume Mario Fafard, professeur retraité en génie civil à l’Université Laval, à propos du futur pont de l’île d’Orléans.
Comme pour d’autres projets majeurs d’infrastructure, dont celui de l’échangeur Turcot à Montréal, le gouvernement du Québec a opté pour un projet clés en main, de type conception-construction.
Cela signifie qu’il délègue à l’entreprise privée la coordination du chantier plutôt que de gérer lui-même chacune des étapes. Une avenue certes plus simple et rapide, mais probablement plus chère.
«Dans le mode de réalisation choisi, l’État ne veut aucun dépassement de coût. Ainsi, le privé absorbe 100% du risque. Comme il doit se protéger, le prix payé est très élevé», explique pour sa part Pierre Barrieau, chargé de cours à l’école d’urbanisme de l’Université de Montréal.
Moins de compétition
Obliger les entreprises à assumer le risque a un autre effet pervers sur le prix: moins d’entreprises osent soumissionner, de peur de perdre de l’argent. Ainsi, la compétition est moins féroce.
«SNC-Lavalin [aujourd’hui AtkinsRéalis] a perdu des sommes colossales dans plusieurs projets clés en main, dont le REM à Montréal. Ils ne veulent plus absorber entièrement le risque», donne comme exemple M. Barrieau.
Les deux experts s’entendent aussi pour dire qu’au cours des cinq dernières années, le coût des matériaux de construction et de la main-d’œuvre a explosé, augmentant beaucoup plus rapidement que l’inflation.
Un défi complexe
Mais au-delà du mode de réalisation, Québec n’aurait pas réellement pu faire d’économies sur le pont choisi, dont la localisation implique des enjeux très spécifiques et complexes.
«On doit enfoncer des pieux à 80 mètres de profondeur pour aller chercher le roc. C’est à un coût significatif», illustre à ce propos Mario Fafard.
D’ailleurs, Québec aurait difficilement pu opter pour un pont traditionnel, en raison de la voie navigable du fleuve, qui oblige une certaine distance entre les piliers. À cet égard, le pont haubané était la meilleure option, estiment les deux experts.
«C’est sûr que ça coûte plus cher. Mais le fleuve à cet endroit est une voie navigable», explique M. Fafard.
De plus, comme le pont actuel est fragile, les matériaux de construction devront être transportés vers l’île en bateau. Un autre défi technique qui explique pourquoi le prix estimé de la construction a septuplé en 10 ans.
À ce propos, les deux experts s’entendent pour dire que le montant de 400 M$ ayant circulé en 2014 sous le gouvernement Charest avait été largement sous-estimé, même pour l’époque.
Longueur: 1,7 km - Achalandage: 11 000/jour - Ouverture: 2028 (projeté)
Québec doit remplacer le pont quasi centenaire reliant Québec à l’île d’Orléans, lequel montre des signes de faiblesse de plus en plus inquiétants. Pour ce faire, il a imaginé un pont à haubans avec une voie de circulation dans chaque direction ainsi que des pistes pour piétons et cyclistes. L’ouvrage est le seul lien permettant aux quelque 7000 insulaires de rejoindre la terre ferme.
Longueur: 3,4 km - Achalandage: 151 450/jour - Ouverture: 2019
Ce pont est l’un des plus achalandés en Amérique du Nord. Le coût de construction comprenait aussi l’élargissement de quatre à six voies de l’autoroute 15 entre le pont et l’échangeur Atwater, ainsi que la construction du nouveau pont de L’Île-des-Sœurs. La démolition de l’ouvrage qu’il remplaçait, estimée à 400 M$, n’était toutefois pas incluse.
Longueur: 1,2 km - Achalandage: 55 000/jour - Ouverture: 2011
Il s’agissait du premier projet routier construit en partenariat public-privé (PPP) au Québec. La Caisse de dépôt et placement du Québec a acheté en 2023 pour 355 millions de dollars de participation dans l’entreprise Concession A25, qui assure l’exploitation du pont à péage qui relie Laval et Montréal, au-dessus de la rivière des Prairies.
Longueur: 2,55 km - Achalandage: 30 000/jour - Ouverture: 2012
Longueur: 1,86 km - Achalandage: 21 300/jour - Ouverture: 2012
Ces deux ponts ont été construits dans le cadre d’un partenariat public-privé terminé en 2012 pour la partie ouest du prolongement de l’autoroute 30. Le projet a coûté près de 2,1 G$ (en dollars actualisés) et inclut aussi la construction de 35 km d’autoroute, dont l’A-530 à Salaberry-de-Valleyfield.
Longueur: 1,6 km - Achalandage: 81 000/jour - Ouverture prévue: 2026-2027
Le futur pont de l’Île-aux-Tourtes remplacera une infrastructure en très mauvais état qui a fait l’objet de fermetures régulières au cours des dernières années. D’une longueur similaire à celle du pont de l’île d’Orléans, il sera toutefois beaucoup plus large, avec 3 voies autoroutières dans chaque direction, en plus d’accotements larges destinés aux autobus et d’une piste multifonctionnelle.
Longueur: 2,5 km - Achalandage: N.D - Ouverture: Automne 2025 (projeté)
Ce pont à péage va relier les villes de Détroit (Michigan) et Windsor (Ontario). Cette infrastructure impressionnante deviendra l’un des cinq plus longs ponts en Amérique du Nord et comportera un total de six voies, en plus d’une piste multifonctionnelle. Le coût inclut la construction de deux postes-frontières ainsi qu’un échangeur au Michigan.
Longueur: 2,02km - Achalandage: 300 000/jour - Ouverture: 2012
Lors de son inauguration, il était le pont le plus large du monde (10 voies de large, 65 mètres). Il devait être à péage électronique, mais après l’échec des négociations avec des compagnies privées, le gouvernement provincial a pris à lui seul les coûts de construction.
Longueur: 19 km - Achalandage: 36 400/jour - Ouverture: 2018
Fierté du régime russe, le pont a été inauguré par Vladimir Poutine le 15 mai 2018. Il a été l’objet de plusieurs attaques des forces armées ukrainiennes depuis 2023, qui ont réussi à l’endommager à au moins 2 reprises. Il est 11 fois plus long que le pont de l’île d’Orléans.
Longueur: 2,4 km - Achalandage: 12 000/jour - Ouverture: 2022
Après plusieurs rebondissements, la firme China Road and Bridge Corporation a remporté le contrat pour réaliser cet ouvrage dont les haubans s’élèvent à 100 mètres dans les airs. La construction a duré 5 ans, et le projet a été décrié par les organisations environnementales locales.
Longueur: 2,82 km - Achalandage: N.D. - Ouverture: 2019
Ce pont qui enjambe le canal de Panama a été réalisé par une compagnie chinoise, la China Communications Construction Company. Son tablier a une hauteur de 75 mètres, nécessaire pour permettre le passage des plus gros porte-conteneurs du monde.
Longueur: 2,63 km - Achalandage: 31 000/jour - Ouverture: N.D.
Qui n’a pas vu les saisissantes images de ce pont de Baltimore en train de s’écrouler, après avoir été frappé par un navire le 26 mars dernier? Le président Joe Biden a promis que l’ouvrage serait rebâti, et les autorités fédérales américaines ont fourni une estimation très préliminaire de 2 G$ pour la reconstruction.
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