Il y a eu plus de femmes entrepreneures en Nouvelle-France que ce que laissent entendre les archives

Évelyne Ferron
Plus on s’intéresse à l’histoire des femmes autrement, plus on découvre ou redécouvre des personnages fascinants. Depuis le tournant des années 2000 plus particulièrement, des historiennes cherchent à identifier et à mettre en lumière des femmes qu’on peut considérer comme les premières entrepreneures de notre histoire. À cet égard, difficile de passer à côté d’Agathe de Saint-Père !
Parmi les premières femmes d’affaires de l’histoire occidentale, nous pouvons souligner les efforts de celles qui ont œuvré dans le monde du textile. À partir du Moyen-Âge plus particulièrement, la fabrication des fils de laine et de lin pour le tissage (ou pour le tricot dans la sphère domestique) était l’apanage de petites entreprises familiales qui fournissaient leur village et la ville la plus proche.
Il s’agit en réalité d’un travail d’équipe, puisque les hommes s’occupaient des troupeaux, du transport et même des négociations de prix de vente sur le marché, alors que les femmes avaient la charge du long et délicat processus du filage. Elles participaient aussi, dans plusieurs familles du moins, à la vente des bobines de fil et des pelotes de laine dans les marchés.
Ce travail d’équipe est tout aussi important avant et pendant le développement de la colonie de la Nouvelle-France. En effet, c’est aussi le cas au sein des communautés autochtones, puisque la division du travail est généralement axée sur les dons et les talents individuels et que, dans un monde basé sur la survie en nature, les femmes sont des participantes à la vie de leur communauté à même titre que les hommes.
En Nouvelle-France, les femmes sont un pilier de l’économie de la famille à même titre que leur mari. Si ce dernier part à la guerre, ou qu’elles deviennent veuves, une réalité vécue par de nombreuses femmes de la colonie, elles ont le droit et le devoir d’assurer la survie des entreprises familiales. Si certaines nous sont connues parce qu’elles ont laissé davantage de traces écrites, il faut prendre en considération qu’il y a eu plus de femmes entrepreneures ou de femmes d’affaires en Nouvelle-France que ce que nous avons dans les archives.

Une femme débrouillarde dès l’adolescence
Née à Montréal le 25 février 1657, Agathe de Saint-Père fait partie de la lignée des premiers colons de Ville-Marie. Elle est liée à une famille nombreuse par le remariage de sa mère à Charles Le Moyne de Longueuil, et semble avoir pris en charge les dix enfants Le Moyne après le décès de sa mère, alors qu’elle n’était âgée que de 15 ans. Elle a elle-même 8 enfants avec son mari, Pierre Le Gardeur de Repentigny.
À partir de ce mariage en 1685, Agathe de Saint-Père (maintenant madame de Repentigny) devient très présente dans les archives civiles, puisqu’elle signait des contrats, vendait des terres et réglait même les dettes de son mari ! Époux qui n’était pas le travailleur le plus dévoué, de ce qu’on en sait. Mais elle est surtout reconnue comme un fin esprit entrepreneurial, ne serait-ce qu’en regard de sa créativité. Au début du XVIIIe siècle, la Nouvelle-France se trouve plus isolée économiquement et il y a pénurie de laine et de lin. Le naufrage d’un navire de ravitaillement important, le Seine, en 1705, est entre autres responsable de ces difficultés pour la colonie et surtout d’un problème d’approvisionnement de vêtements.
Un esprit ingénieux
Madame de Repentigny a été ingénieuse et a réussi à produire de la toile en faisant divers essais avec des orties, des filaments d’écorce, du cotonnier sauvage et même de la laine de bœuf ! Elle a entre autres développé sa propre manufacture de toile chez elle à cette époque difficile, en réussissant à faire construire un métier à tisser à partir du seul modèle disponible sur l’île de Montréal. Il fonctionne si bien qu’elle en fera construire une vingtaine d’autres pour bonifier la production pour l’ensemble de la colonie. Ses expérimentations l’ont même menée à développer des teintures dans ce contexte de pénurie, grâce à la découverte de plantes indigènes permettant d’obtenir différents coloris. Elle a de plus travaillé à créer des procédés de fixation des couleurs sur les tissus.
Agathe de Saint-Père a été si efficace que le roi de France lui a accordé une rente annuelle pour ses services à la colonie. Après autant d’efforts, elle a pris la décision de vendre son entreprise à Pierre Thuot Duval, un maître-boulanger, le 9 octobre 1713. Bien qu’il existe encore plusieurs trous dans son histoire par la suite, nous savons qu’elle a terminé ses jours à l’Hôpital général de Québec après la mort de son mari en 1736.
Elle a néanmoins laissé suffisamment de traces pour que nous puissions la compter parmi les premières femmes d’affaires du Canada !