Il nous a fait toucher les nuages


Richard Martineau
Ce n’était pas un chanteur, pour moi, c’était un gourou.
Je l’aurais suivi n’importe où.
Nus pieds.
C’était d’ailleurs ça, le problème.
Fiori voulait juste être un chanteur.
Un musicien parmi tant d’autres.
Mais il s’est réveillé, un matin, et il y avait des jeunes qui campaient dans sa cour.
Qui attendaient un mot de lui.
Comme s’il était un sage hindou.
Alors il a craqué.
Faire de la musique ? Oui.
Être perçu comme un leader de secte, qui connaissait les secrets de l’univers ?
Non.
C’était trop pour lui.
Alors il a tout sacré là.
On l’aimait tellement qu’on a fini par l’étouffer. Le paralyser.
Un message caché
C’est Fiori lui-même qui m’a raconté tout ça lors d’une entrevue-fleuve qu’il m’a accordée aux Francs-Tireurs.
On était chez lui, dans le Vieux-Longueuil.
À côté du sofa où son père est mort.
J’étais avec Fiori ! Devant lui ! Chez lui !
Je me pinçais.
Certes, beaucoup d’eau avait passé sous les ponts, je n’étais plus le p’tit cul de Verdun qui écumait tous les disquaires de Montréal dans l’espoir de trouver un bootleg d’un concert d’Harmonium, avec la frénésie d’un fidèle cherchant désespérément un texte sacré, mais tout comme.
Pourquoi Fiori a-t-il autant marqué les jeunes de ma génération ?
Qu’est-ce qu’on cherchait en écoutant Harmonium ?
Pourquoi sa musique, pour nous, était plus que de la musique ?
On écoutait L’Heptade dans le noir, comme si c’était une messe de Bach ou le Nada Brahma.
Jamais un groupe québécois n’avait composé de la musique comme ça.
Il y avait Beau Dommage, oui, mais Beau Dommage, c’était les ruelles.
Alors que Harmonium, c’était le ciel.
« Pas besoin de prendre de la drogue pour regarder mes films, m’a déjà dit le réalisateur Alejandro Jodorowsky, toujours aux Francs-Tireurs. Mes films sont la drogue ! »
Eh bien c’était ça.
La musique de Fiori, c’était une drogue.
Qui nous catapultait direct au septième ciel.
On écoutait les paroles de Fiori comme si elles contenaient un message caché, un sens secret.
Alors que le pauvre Serge, lui, voulait juste écrire de bonnes chansons.
Il faisait rimer « céréales » avec « cristal » parce qu’il trouvait ça joli. On pensait qu’il voulait dire que le sens de la vie se cachait dans les Honey Combs.
Pas étonnant qu’il ait craqué !
On l’aurait fait à moins.
Viens danser
Mais Fiori, ce n’était pas que ça.
Il savait aussi danser et nous faire danser.
Oui, il y avait les longues envolées mystiques de L’Heptade.
Mais il y avait aussi Dixie. Et Viens danser, du chef-d’œuvre Deux cents nuits à l’heure qu’il a composé avec son ami Richard Séguin, album culte parmi tous les albums cultes.
Je vous mets au défi de ne pas shaker les pieds en écoutant ça.
Moi, le jour, j’écoutais Beau Dommage en pensant à Ginette qui dansait toute nue dans un motel dans l’bout de Sorel.
Et la nuit, j’écoutais Harmonium en essayant de toucher l’infini du doigt.
Les paroles ésotériques d’Harmonium, il faut le dire, ont vieilli, contrairement à celles de Beau Dommage.
Mais la musique reste.
Magique, grandiose.
Merci.
De tout cœur.