Il ne faut pas oublier qu’Hydro-Québec est une société d’État

Pierre Gouin, Économiste
Les grandes orientations stratégiques d’Hydro-Québec doivent être déterminées en respectant les processus et les institutions démocratiques, c’est la loi. Les dirigeants sont nommés pour gérer l’entreprise selon les orientations établies par les élus.
C’est un énorme scandale que le premier ministre du Québec laisse le président de l’entreprise annoncer les grands projets d’investissement d’Hydro-Québec et même qu’il le laisse exprimer ses états d’âme concernant le nucléaire. Que le premier ministre soit d’accord avec les orientations annoncées par le PDG, ce n’est pas une surprise, mais ça ne minimise pas la gravité du coup d’État.
Les ressources qui seront mises en œuvre n’appartiennent pas à Hydro-Québec et les impacts des investissements se feront sentir sur l’ensemble de la société québécoise. C’est simple, Hydro-Québec est une société d’État. Les élus auront l’occasion de cautionner les décisions éventuellement, mais le train est déjà en marche, comme celui de Northvolt, et il sera bientôt impossible de l’arrêter. Le premier ministre sait ce qu’il veut, ses amis des milieux d’affaires aussi, et les processus démocratiques les énervent: c’est long, mais surtout, on ne sait pas comment ça va finir.
Expériences passées
On a vu déjà la même précipitation sous le gouvernement libéral, en 2015, alors que le premier ministre du Québec a sous-traité à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) la planification du transport en commun dans la région métropolitaine, une planification qui est une responsabilité exclusive du gouvernement et des municipalités concernées. La CDPQ a choisi les trajets et les municipalités à desservir dans une première phase, elle a bénéficié de fonds publics, et se retrouve avec une infrastructure qui sera très rentable, à moins qu’elle n’en ait complètement raté la réalisation.
Les autorités publiques doivent maintenant prendre en charge des projets de transport en commun plus modestes et retardés pour la moitié de la population métropolitaine parce qu’une clientèle moins nantie et des conditions techniques plus difficiles ne permettent pas d’obtenir une rentabilité suffisante pour la CDPQ ou des investisseurs privés.
Lorsque le premier ministre Robert Bourassa a annoncé le projet de la Baie-James, il l’a fait en tant que chef d’État. Il y avait sûrement un lobby d’hommes d’affaires qui le demandaient, mais le projet a fait l’objet d’un débat de société, les élus ont pu en débattre et ils l’ont appuyé fortement. À l’époque, le Québec était en sous-développement, il y avait beaucoup de chômage, sans compter que de nombreux Québécois n’essayaient même pas de trouver un emploi. L’électricité abondante et à prix très compétitif était vue comme une façon d’attirer des entreprises au Québec et de créer un environnement favorable au développement des entreprises québécoises. On peut dire que le pari a réussi.
Deux modèles de croissance
La stratégie annoncée maintenant par Hydro-Québec suppose une forte croissance des besoins futurs en électricité, qui ne se justifierait seulement, soit par une forte croissance de la consommation de la population et des entreprises, donc par une forte croissance de l’immigration, ou soit par des exportations massives d’électricité. C’est à la population du Québec de décider si c’est un projet d’avenir qui lui convient.
Avec un Québec pratiquement au plein emploi, les Québécois ont la possibilité de choisir entre deux modèles de croissance opposés. Plutôt que d’utiliser les fonds publics disponibles pour subventionner la croissance des entreprises et la création d’emplois, il est possible de viser une croissance plus modérée permettant d’enrichir davantage la population, incluant un nombre d’immigrants qu’on jugerait possible d’intégrer. Les fonds publics seraient utilisés pour améliorer les services à la population, bâtir plus raisonnablement des infrastructures et les entretenir, soutenir nos petites et moyennes entreprises à forte valeur ajoutée et préserver des emplois jugés essentiels, comme ceux des médias et du domaine culturel. Une croissance plus modeste permettrait aussi de protéger notre environnement naturellement.
L’objectif de croissance maximal visé par le gouvernement Legault était en contradiction avec la promesse de ne pas augmenter les seuils d’immigration qu’il avait faite aux nationalistes québécois. Il a quand même pu annoncer cette semaine des seuils d’immigration à peu près stables à 50 000 par année. La solution au dilemme, il l’a trouvée au cours des dernières années, il s’agit de miser sur des travailleurs temporaires pour répondre à tous les besoins de main-d’œuvre exprimés par les milieux d’affaires.
Historiquement, les travailleurs temporaires étaient presque exclusivement des travailleurs agricoles qui passaient quelques mois par année au Québec, il n’y avait donc pas de raison de les considérer dans le calcul de l’immigration. Les nouveaux employés temporaires travaillent à temps plein dans des usines ou d’autres emplois réguliers, ils bénéficient des services publics à l’année et il n’y a aucune limite à la durée de leur séjour. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé qu’ils auraient l’obligation d’apprendre le français s’ils voulaient rester plus de trois ans. Il faut donc les inclure dans le calcul de la population québécoise pour des fins de planification et démasquer cette désinformation quant aux seuils d’immigration.

Pierre Gouin, économiste