Il faut un «Netflix» canadien pure laine
Guy Fournier
Un agrégateur de télévision canadien pure laine, c’est un projet encore plus essentiel qu’un TGV Québec–Montréal–Toronto.
La construction du train à grande vitesse qu’a annoncé à Montréal, hier, le premier ministre Justin Trudeau coûtera au moins 100 milliards. C’est une estimation très conservatrice si on se rappelle la somme que devait coûter notre pauvre petit REM, qui n’arrive pas encore à se dépêtrer de la neige et du froid malgré les dollars qu’on y injecte.
Il faudra au moins une génération avant que ce TGV soit sur les rails. Peut-être plus. C’est un projet «structurant», pour employer le langage des technocrates, mais à part réduire le trafic aérien et routier entre ces trois villes, il n’apportera rien à notre souveraineté culturelle. C’est pourtant de celle-là qu’on doit s’inquiéter le plus.
Comme les provocations et les outrances verbales de Donald Trump indignent le monde, la firme Léger a instruit un sondage sur les conséquences qu’elles ont sur les Canadiens. Si quatre Canadiens sur cinq ont résolu d’acheter «local» dorénavant, seulement 28% songent à annuler leurs abonnements aux plateformes américaines comme Netflix, Disney+, Amazon Prime et cie.
On n’est pas très pressé
Même si les Québécois sont conscients des dangers qu’elles représentent pour leur langue et leur culture, seulement 36% d’entre eux songeraient à annuler leurs abonnements aux plateformes américaines. C’est moins d’un Québécois sur trois! En Alberta, où un pourcentage microscopique de téléspectateurs regarde la CBC, 86% des Albertains répondent qu’ils y resteront abonnés quoi qu’il advienne.
En faut-il plus pour conclure qu’à moins de concurrencer ces plateformes de façon rapide et efficace, notre télévision se réduira comme peau de chagrin pour ne devenir qu’un ersatz de la télévision américaine?
L’État doit en faire plus
Au moyen d’aide directe à la production ou de crédits d’impôt, nos gouvernements consacrent quelques centaines de millions par année à la production d’émissions, de séries et de films originaux. Sans ces apports, nos réseaux de télévision présenteraient presque uniquement des séries et des émissions étrangères, majoritairement américaines.
Mais si on ne réagit pas, nos plateformes, illico+, Crave, CBC Gem et tou.tv, resteront toujours loin derrière les plateformes américaines de plus en plus populaires. D’autant plus qu’on peut s’abonner à Netflix, à Disney+ et à Amazon Prime pour de 21,97$ à 49,97$ (plus taxes) par mois, alors qu’il faut compter de 38,47$ à 73,98$ (plus taxes) pour recevoir l’Extra de tou.tv, Crave, CBC Gem Premium et illico+ (tou.tv et CBC Gem étant gratuits).
Pour créer une grande plateforme canadienne unique au contenu de laquelle contribueraient tous nos diffuseurs, l’État n’aurait qu’à consacrer une fraction minime de ce qu’il lui faudra pour construire ce fameux TGV. En offrant ce «Netflix» canadien pure laine à meilleur compte que les plateformes américaines, on freinerait leur progression et on assurerait la découverte et la pérennité de nos productions originales. Chez nous et dans le monde. Gagnant, gagnant! comme on dit aujourd’hui.