Il faut de meilleures conditions pour retenir nos enseignants

Akli Ait-Eldjoudi, Professeur de philosophie, Cégep de Sherbrooke
Je fais partie de ces enseignants qui ont enseigné avec une tolérance d’engagement au secondaire. J’ai reçu la mienne en lien avec mon bac en philosophie, soit pour donner le cours d’éthique et culture religieuse (ECR).
Ce qui m’a d’emblée marqué, c’est le fait que j’ai été merveilleusement bien accompagné. Non seulement ai-je pu recevoir une formation accélérée et continue en pédagogie, mais en plus, une enseignante a été désignée pour être ma tutrice. Celle-ci a pu m’accompagner tout au long de l’année scolaire.
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Chaque fois que j’en ressentais le besoin, je me dirigeais vers cette personne-ressource. Lorsque tout allait bien et que je ne demandais pas de rencontre, c’est elle qui me demandait des nouvelles.
Cela fut pour moi d’un secours inouï.
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Se donner à 200 %
Parce qu’avoir une tolérance, c’est aussi travailler plus. C’est lire davantage, se préparer davantage, accompagner davantage.
C’est, en somme, tout faire pour que vos élèves ne ressentent pas de lacune, précisément parce que vous savez que vous n’êtes pas la personne la plus qualifiée pour leur enseigner.
Alors vous vous donnez à 200 %, c’est le cas de le dire.
Oui, j’ai eu la chance d’enseigner au secondaire sans être légalement qualifié, mais cette chance s’est accompagnée de travail acharné, de semaines interminables, de sacrifices dans ma vie privée, et même à du surmenage, qui a heureusement été limité grâce à ma tutrice.
J’ai eu une année bien remplie, riche et incroyablement formatrice.
Elle me permet aujourd’hui d’accompagner plus adéquatement mes étudiants au cégep parce que je sais d’où ils viennent. Et je suis ravi de cette tournure.
Où est le problème ?
La pénurie d’enseignants au secondaire est alarmante, puisqu’il ne s’agit pas de conditions optimales pour nos jeunes.
À quoi est-elle attribuable ?
Il y a le salaire, bien entendu, que je jugeais dérisoire par rapport à la charge de travail qui accompagnait cette tolérance d’engagement.
Mais le salaire n’est pas le seul facteur. C’est un élément parmi tant d’autres [...]
Là où le bât blesse, c’est la charge de travail.
Lorsqu’il songe aux enseignants, le commun des citoyens pense spontanément aux fameuses vacances estivales auxquelles ils ont droit.
Or, quand j’ai parlé de ces mois de vacances au bureau, certains collègues m’ont dit à la blague que c’était moins du repos qu’une convalescence... J’ai pris la chose comme une blague, avant d’être vite rattrapé par la réalité.
En effet, il faut être conscient de tout ce que l’amorce d’une carrière en enseignement signifie.
Commencer à enseigner, c’est d’abord se chercher, trouver le bon matériel, la bonne stratégie, se connaître soi-même en tant qu’enseignant — et même en tant qu’individu.
C’est aussi faire face à une certaine précarité en début de carrière, enchaîner les contrats ici et là, aller souvent loin, attendre que le téléphone sonne, vivre à la semaine, parfois au jour le jour...
Ça implique beaucoup de sacrifices qui ne sont pas reconnus dans les heures travaillées.
Susciter l’intérêt
Ça se complique davantage lorsqu’on sait que le défi premier qui se pose devant une classe, c’est de susciter l’intérêt. Pour y arriver, encore faut-il être passionné par sa matière. Et cette passion a besoin d’un terreau fertile pour germer : des enseignants avec une bonne santé mentale.
Alors, pour retenir les enseignants, il faut d’abord penser à améliorer leurs conditions de travail, qui sont des plus précaires. Nul besoin de trouver d’autres incitatifs pour qu’ils restent : ils le feront passionnément par eux-mêmes.

Akli Ait-Eldjoudi
Professeur de philosophie, cégep de Sherbrooke