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L'article provient de Bureau d'enquête

Un débosseleur achète un penthouse après avoir reçu un remboursement d'impôt de 5M$ auquel il n'aurait pas eu droit

Selon Revenu Canada, le commerçant des Laurentides aurait fait des «manœuvres pour le moins questionnables, voire frauduleuses» pour recevoir l'argent

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Jean-Louis Fortin, Éric Yvan Lemay, Philippe Langlois et Ian Gemme

2023-05-16T04:00:00Z
2023-05-16T18:05:34Z
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Revenu Canada a versé un remboursement d’impôt de 5 M$ au propriétaire d’un modeste atelier de carrosserie des Laurentides qui n’y aurait pas eu droit, et qui s’est aussitôt acheté un luxueux penthouse.

Et comme si ce n’était pas assez, ce carrossier, Yvan Drapeau, aurait ensuite cédé frauduleusement le condo à une compagnie maintenant présidée par un promoteur immobilier de Joliette accusé de tentative de meurtre, Jean-François Malo.

Notre Bureau d’enquête a découvert que le fisc fédéral tente activement de ramasser les pots cassés après avoir déposé le 27 mars dernier, sans trop poser de questions, la rondelette somme de 4 997 433,72 $ dans un compte bancaire commercial ouvert le mois précédent par Yvan Drapeau.

On voit ici l’avis de cotisation envoyé à la compagnie d’Yvan Drapeau, avec un remboursement de presque 5 M$.
On voit ici l’avis de cotisation envoyé à la compagnie d’Yvan Drapeau, avec un remboursement de presque 5 M$. Courtoisie

Huit jours après, le fisc s’est rendu compte qu’il aurait été victime de «manœuvres pour le moins questionnables, voire frauduleuses» (voir ci-contre) de la part de Drapeau, propriétaire de l’entreprise Distribution Carflex inc., un tout petit atelier de débosselage du boulevard Curé-Labelle, à Mirabel.

Mais il était trop tard. Drapeau, un résident de Saint-Lin–Laurentides, avait déjà «commencé à dilapider ou utiliser sans droit le remboursement», selon Revenu Canada.

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Il cède le Penthouse

Il a notamment acheté un appartement dans un immeuble de prestige du Vieux-Montréal pour plus de 2 M$, sans hypothèque, avant de le céder pour 0 $ à une société à numéro qu’il contrôlait. Cette cession a été faite contre «bonnes et valables considérations déjà acquittées», sans plus de précision.

Or, quatre jours après le transfert, ce n’est nul autre que Jean-François Malo, accusé d’avoir tenté d’assassiner l’avocat Nicholas Daudelin en mars 2020, qui est devenu le président et unique administrateur de la société à numéro propriétaire du penthouse.

  • Écoutez l'entrevue avec Jean-Louis Fortin, directeur du Bureau d’Enquête de Québecor à l’émission de Yasmine Abdelfadel via QUB radio :

Cette histoire abracadabrante a donné lieu à plusieurs requêtes en justice dans les dernières semaines. Le fisc estime que le transfert du penthouse s’est fait «en fraude des droits de Sa Majesté».

Le 19 avril dernier, le ministère fédéral a obtenu une ordonnance intérimaire du juge Denis Gascon, de la Cour fédérale, pour faire valoir ses droits sur le condo. Cela lui permettra de récupérer l’immeuble pour rembourser une partie des sommes qui lui sont dues, à moins d’un revirement de situation.

Compte gelé

Deux semaines plus tôt, la Banque TD, à la demande du fisc, avait gelé le compte bancaire dans lequel avait été déposé le remboursement d’impôt de 5 M$.  

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Yvan Drapeau a à son tour déposé une demande d’injonction contre la Banque TD, en lui reprochant d’avoir bloqué l’accès aux fonds «sans raison valable et sans aucun motif sérieux». Il a tenté, sans succès jusqu’ici, de vider le compte des 3 M$ qui restaient pour transférer cette somme chez une notaire de Trois-Rivières. Il réclame même 100 000 $ à la banque pour les «troubles, ennuis et inconvénients» qui lui auraient été causés.

L’entreprise qui a reçu le remboursement d’impôt de 5 M$ est située dans un local commercial de Mirabel. La semaine dernière, lorsque nous nous y sommes rendus, la porte était barrée et il n’y avait personne sur place.
L’entreprise qui a reçu le remboursement d’impôt de 5 M$ est située dans un local commercial de Mirabel. La semaine dernière, lorsque nous nous y sommes rendus, la porte était barrée et il n’y avait personne sur place. Photo Jean-Louis Fortin

Le 4 avril, un représentant de la TD l’avait contacté pour lui poser des questions sur ces transactions inhabituelles. M. Drapeau assure lui avoir «expliqué toutes les étapes» et avoir «fourni toutes les pièces justificatives».

«Il y a longtemps qu’on attendait ce retour [d’impôt]», lui a-t-il notamment écrit dans un courriel le lendemain, en expliquant qu’il était en train de procéder à la fusion de plusieurs sociétés.

Les parties doivent revenir devant le juge le 30 mai prochain. À cette occasion, l'entreprise présidée par Malo fera valoir ses droits, soutient son avocat Karl-Emmanuel Harrison.

« La société 9488-0846 Québec inc. entend démontrer devant la Cour que l’acte de cession du 3 avril 2023 n’a pas été fait en fraude des droits de qui que ce soit », a indiqué Me Harrison dans une déclaration écrite qu'il nous a envoyée.

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Manœuvres «questionnables, voire frauduleuses»

Selon le fisc, pour bénéficier indûment d’un remboursement d’impôt de 5 M$, Yvan Drapeau a usé des manœuvres «pour le moins questionnables, voire frauduleuses» suivantes, en l’espace de quelques semaines, à partir de février 2023 :

  1. Le 17 février, il a produit une déclaration modifiée pour l’année 2021 pour ajouter un gain en capital imposable de plus de 16 M$ à son entreprise Carflex.
  2. Le 22 février, l’ARC a donc réclamé le paiement de 7,3 M$ d’impôt en lien avec cette déclaration de revenus modifiée.
  3. Toujours le 22 février, immédiatement après avoir reçu le nouvel avis de cotisation de Carflex, Drapeau s’est opposé au paiement que lui réclamait le fisc. « Bonjour ! Une erreur s’est glissée dans la déclaration [...]. Prière d’ouvrir le dossier d’opposition pour m’éviter des problèmes », écrit-il notamment à l’ARQ.
  4. Le 21 mars, malgré son opposition à la suite de sa déclaration modifiée de 2021, il a produit une déclaration pour l’année 2022, dans laquelle il déclare que Carflex a versé un dividende de 13 M$. Cela a donné droit à Carflex à un remboursement de 5 M$.
  5. Le 27 mars, L’ARC a versé les 5 M$ dans un compte bancaire que Drapeau avait ouvert 9 jours avant qu’il modifie la décla-ration de revenus 2021 de Carflex.
  6. Le 5 avril, l’ARC a demandé à la Banque TD de retenir les fonds, mais le mal était déjà fait. Plus de 1,8 M$ avaient déjà été retirés.

Pas cohérent avec ses revenus

Le fisc fédéral trouve surprenant qu’Yvan Drapeau, qui en apparence est un modeste garagiste des Laurentides, achète soudainement un luxueux penthouse.

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«L’acquisition très récente d’un immeuble par M. Drapeau, sans hypothèque au préalable, pour un montant de 2 035 000 $, laisse perplexe au vu des revenus déclarés par ce dernier dans les dernières années», soutient dans sa requête Me Kloé Sévigny, qui représente le procureur général du Canada.

Par exemple, entre 2015 et 2019, Drapeau n’a jamais déclaré un revenu net de plus de 31 000 $ par année, selon Revenu Canada.

Le grand luxe

Le penthouse cédé à une compagnie maintenant présidée par Jean-François Malo, et que le fisc tente de récupérer, s’étend sur près de 2800 pieds carrés. Il comprend trois chambres à coucher et deux balcons.

Le site web du projet Sax sur le fleuve, où Yvan Drapeau a acheté un penthouse pour 2M$.
Le site web du projet Sax sur le fleuve, où Yvan Drapeau a acheté un penthouse pour 2M$. Capture d'écran du site web de Sax sur le fleuve

L’appartement, l’un des plus grands de ce luxueux complexe baptisé Sax sur le fleuve, est décrit par le promoteur comme «l’adresse exclusive du Vieux-Montréal, où tous voudront s’établir afin d’admirer la tranquillité du fleuve et sentir l’effervescence de la ville». 

Cet immeuble au «design intérieur raffiné» est doté de fenêtres «du plancher au plafond» ainsi que de «matériaux nobles et d’une insonorisation supérieure». Les résidents ont de plus accès à une piscine chauffée.

Qui est Yvan Drapeau

  • Résident de Saint-Lin–Laurentides.
  • Propriétaire d’un petit commerce de distribution de pièces de carrosserie à Mirabel.
  • Il a mystérieusement donné à une firme maintenant présidée par Jean-François Malo le penthouse de 2 M$ qu’il venait d’acheter, «pour bonnes et valables considérations déjà acquittées».
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Qui est Jean-François Malo

Jean-François Malo
Jean-François Malo Courtoisie

  • Promoteur immobilier de Joliette
  • Il a été poursuivi pour près de 6 M$ par Desjardins, qui l’accusait d’avoir détourné 3,5 M$. L’affaire a été réglée hors cour en juin 2020.
  • Accusé de tentative de meurtre, d’avoir déchargé une arme à feu, d’intimidation et d’entrave à la justice en juin 2020 en lien avec l’attaque dont a fait l’objet Me Nicholas Daudelin à son domicile en mars 2020. Daudelin représentait Desjardins dans le litige qui opposait l’institution financière à Malo.
  • Libéré en août 2020 dans l’attente de son procès. La Couronne s’est adressée à la Cour suprême dans l’espoir de le garder détenu, en vain.
  • Les deux autres accusés dans cette affaire, Cheikh Ahmed Tidiane Ndiaye et Daouda Dieng, ont été condamnés respectivement hier à 9 et 10 ans de détention pour avoir déchargé une arme à feu.
  • Dans le cadre du procès de Ndiaye et Dieng, le juge a écrit qu’« au mieux, la preuve supporte une inférence à l’effet que M. Malo entretenait des doléances à l’endroit de Me Daudelin », et que « rien ne permet de comprendre qu’il espérait sa mort ».
  • Malo subira un procès séparé. Hier, un juge a reporté au 12 juillet la décision concernant une requête de Malo pour que ses frais d’avocats soient payés par l’État.
Sur cette image de caméra de surveillance déposée en cour, on voit Jean-François Malo (à gauche) et Cheikh Ahmed Tidiane Ndiaye, un mois après la tentative de meurtre sur Me Daudelin.
Sur cette image de caméra de surveillance déposée en cour, on voit Jean-François Malo (à gauche) et Cheikh Ahmed Tidiane Ndiaye, un mois après la tentative de meurtre sur Me Daudelin. Photo fournie par la cour

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