Holness: une proposition qui frôle le délire


Josée Legault
Le match revanche Denis Coderre c. Valérie Plante prend des airs inévitables de déjà-vu. Au sortir d’une campagne fédérale dont personne sauf Justin Trudeau ne voulait, que celle-ci ne lève guère plus de terre n’a donc rien d’étonnant.
Puis vint Balarama Holness, l’ancien footballeur candidat à la mairie. Vint surtout sa promesse controversée de tenir un référendum sur le statut linguistique de la métropole, qu’il souhaite de devenir « officiellement bilingue ».
Au moment même où le déclin du français, amplement documenté, est reconnu jusqu’au parlement fédéral, la proposition frôle bien entendu le délire.
Montréal a beau se dire ville française, le recul de la langue officielle du Québec n’y est pas moins indéniable. Cela ne doit rien au hasard puisqu’à de rares exceptions près, il est le produit de l’inaction navrante des gouvernements péquistes et libéraux.
Depuis le dernier référendum, aucun n’a agi sérieusement pour renforcer cette pauvre loi 101, pourtant affaiblie à répétition par les tribunaux depuis son adoption en 1977 par le gouvernement Lévesque.
Le projet de loi 96 du gouvernement Legault visant à la moderniser contribuera-t-il à ralentir l’affaiblissement du français ? Bien malins ceux qui le savent.
Ironie ultime
L’ironie ultime de la proposition de Balarama Holness devrait pourtant nous sauter aux yeux. Car de fait, c’était grâce à la loi 101 originelle si Montréal avait pu devenir une ville « bilingue ».
Avant 1977, pour des raisons historiques connues, Montréal était une métropole essentiellement de langue anglaise. Le français s’y pratiquait en mode très mineur.
À Montréal, l’anglais était la langue dominante du travail. De la mobilité sociale. De l’intégration des immigrants. De l’affichage commercial. De l’éducation pour plus de 85 % des nouveaux arrivants. Etc. Le français était vu comme la langue des « pauvres ».
Enfant à Montréal, j’ai vécu cette époque. Adulte, je l’ai analysée sous toutes ses coutures dans mes travaux de science politique. Et plus tard, comme spécialiste de la question linguistique.
Rappelons que la loi 101, première mouture, visait justement à renverser la dynamique en faveur du français. Ce qui, aussi, nécessitait de tenter d’amoindrir la force spectaculaire d’attraction de l’anglais.
En même temps, la communauté anglophone étant une part intégrante de la société québécoise, jouissait et jouit toujours d’un large réseau d’institutions.
Coup fatal
On peut donc dire ceci. Montréal ayant été une ville où l’anglais dominait clairement jusque dans les années 70, la loi 101 initiale, en renforçant le rapport de force du français face à l’anglais, avait ainsi rendu la ville plus « bilingue ». Le français y prenant sa place, lui aussi.
L’objectif à long terme était qu’avec le temps, même si l’indépendance ne se faisait pas, le français finirait ainsi par devenir la lingua franca de la métropole. Tout comme l’anglais l’est tout naturellement dans les autres grandes villes canadiennes.
Or, contrairement aux attentes, les tribunaux ont affaibli la loi 101 pendant que la plupart des gouvernements québécois restaient muets. Comme disent les Anglais, the rest is history.
L’ironie finale est qu’aujourd’hui, le français déclinant dans la métropole, elle redevient moins « bilingue » à mesure que l’anglais y regagne du terrain.
Dans un tel contexte, une seule chose est sûre. S’il fallait qu’en plus, Montréal ait un statut de ville officiellement bilingue, en situation de « libre choix » ouvert, l’usage de l’anglais progresserait encore plus vite.
Pour le français, ce serait bien là le coup fatal.