Histoires troublantes en immobilier: de plus en plus de courtiers dans la mire des enquêteurs
Certains ont fait beaucoup d’argent durant la pandémie, d’autres ont été dénoncés pour leurs pratiques douteuses

Jean-François Cloutier | Bureau d'enquête
Le nombre de courtiers visés par une enquête a doublé durant la pandémie, au moment où les prix ont explosé et que les acheteurs devaient jouer du coude pour espérer trouver une maison.
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Les amendes imposées par l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) ont aussi plus que doublé au cours des deux dernières années. Durant cette période de forte hausse de la valeur des maisons, il n’était pas rare que plusieurs acheteurs fassent une offre au-dessus du prix demandé.
En parallèle, plusieurs courtiers n’ont pas hésité à vanter leur succès et leur prospérité sur les réseaux sociaux notamment. Plusieurs ont fait des affaires d’or durant la crise.
« Je travaille chez Sotheby’s. C’est une bannière de luxe. [...] L’an passé, les gens ont dû faire en moyenne entre 400 000 $ et 500 000 $, mais les autres années peut-être qu’ils faisaient 150 000 $ », affirme Paul Azar, un courtier immobilier.
Christiane Privé et Nelson Defoy, un couple de Saint-Lin-Laurentides, ont dû visiter de leur côté 54 maisons pendant la pandémie avant de trouver la perle rare.
Le couple a présenté un mémoire à Québec dans le cadre d’une consultation sur les pratiques des courtiers.

Il dit avoir connu le pire comme le meilleur.
« C’est une jungle », déclare Mme Privé.
DES CAS QUESTIONNABLES
Notre Bureau d’enquête a épluché des dizaines de décisions et procédures disciplinaires récentes et y a trouvé des histoires qui soulèvent des questions.
- À Gatineau, un courtier a été suspendu après avoir acheté la maison d’un client 450 000 $ avant de la revendre 880 000 $ deux ans plus tard
- Sur la Rive-Sud de Montréal, une courtière est poursuivie par l’OACIQ notamment pour s’être placée en conflit d’intérêts en voulant acheter la maison de clients. Elle a aussi intenté un recours pour forcer un de ses clients à lui céder une propriété
- À Montréal, une agente qui se vante de vendre plus de 100 maisons par année a été reconnue coupable d’une quinzaine de chefs d’infraction en lien avec des transactions dans lesquelles elle était impliquée
- Sur la Rive-Nord, un courtier a imité la signature d’un ami d’enfance dans plusieurs documents officiels
- À Marieville, un courtier a encouragé ses clients à participer à une opération illégale de gonflement de prix.
DES CHANGEMENTS
Selon l’OACIQ, il faut attribuer ce côté plus sombre du dernier boom immobilier en partie à des changements dans la manière dont l’organisme traite les plaintes du public.
OACIQ
« On transfère plus rapidement les dossiers au bureau du syndic », a mentionné Caroline Champagne, vice-présidente encadrement, à l’OACIQ, en entrevue avec notre Bureau d’enquête.
Elle a évoqué des changements opérationnels et une « optimisation » des processus effectués pendant la pandémie.
Elle a ajouté que l’organisme avait aussi été très proactif l’an dernier en faisant plus d’inspections obligatoires.
BIEN PROTÉGÉS ?
Selon Mme Champagne, les plaintes contre les courtiers ont également bondi pendant la première moitié de l’année dernière, avant que la situation se corrige durant la deuxième moitié de 2021.
Si l’OACIQ se veut avant tout rassurante, d’autres experts à qui notre Bureau d’enquête a parlé sont sévères et jugent que le public n’est pas toujours bien protégé par le système en place.
des maisons
sur des courtiers
Les clients mal protégés
Des experts en immobilier estiment que le public n’est pas toujours bien protégé quand il fait affaire avec un courtier.
« L’OACIQ essaie de protéger ses arrières, mais [...] c’est un simili-ordre professionnel. [...] Ils vont faire des actions qui ont pour but de protéger le public, mais est-ce qu’ils le protègent [bien] ? [...] Non, je suis pas prêt à leur donner ce crédit-là », affirme Nick Maltais, un courtier immobilier chevronné de la région de Québec.
Selon lui, le système est fait actuellement pour qu’il y ait un nombre maximal de personnes qui peuvent devenir courtiers.
Le public serait mieux servi, selon lui, si la formation de base était rehaussée.
Son point de vue est partagé en partie par Isabelle Sirois, une avocate spécialisée en droit immobilier de la région de Québec, qui plaide pour plus de contrôle de l’OACIQ.
COMPLEXIFICATION
Cette dernière veut sensibiliser le public aux risques légaux majeurs que comporte une transaction aujourd’hui.
L’évolution récente du droit fait que c’est de plus en plus complexe d’acheter une propriété, selon elle.
Elle estime que c’est beaucoup plus sécuritaire de recourir aux services d’un courtier pour acheter ou vendre une propriété, que de tenter de le faire soi-même. Néanmoins, elle pense qu’une poignée de courtiers « ternissent la réputation de l’ensemble ».
« Je me fais pas aimer quand je dis ça, mais c’est rendu tellement difficile et rempli de responsabilités énormes d’être courtier qu’à mon sens ça devrait prendre plus que la formation collégiale actuelle », dit-elle.
SURENCHÈRES
Dans un mémoire soumis en 2021, l’organisme Option consommateurs s’inquiétait de son côté du rôle que pouvaient jouer les courtiers immobiliers dans le phénomène des surenchères.
« Force est de constater que, dans plusieurs des cas, les courtiers immobiliers ne sont pas complètement étrangers à l’exacerbation de la surchauffe immobilière », notait l’organisme.

Luce Duchaussoy, une résidente de la Rive-Sud rencontrée par notre Bureau d’enquête, a raconté avoir trouvé éprouvant le processus de plainte contre un courtier à l’OACIQ. Elle nous a dit avoir été forcée de témoigner contre une courtière par qui elle a dû, ensuite, continuer d’être représentée parce qu’elle avait signé un contrat avec elle.
« Ils t’utilisent pour leur dossier, puis après, ils te laissent tomber. Ils ne tiennent pas compte des représailles que tu peux avoir », nous a-t-elle dit.
Elle a aussi déploré la « grande lenteur » des analyses de l’OACIQ.
Le gouvernement du Québec a lancé en juin 2021 une consultation visant à examiner les pratiques des courtiers.
Il en est ressorti des modifications à la loi sur le courtage, entrées en vigueur en juin 2022. Il ne sera plus possible en général pour un courtier « d’agir à la fois pour l’acheteur et le vendeur lors d’une transaction ».
Le courtier doit également désormais conclure un contrat de courtage écrit avec des acheteurs avant de les représenter.
Sandra Mercier a vu son permis révoqué en 2019. Elle a notamment emprunté des sommes d’argent à 15 personnes sur la base de fausses représentations et ne les a pas remboursées. Photo tirée de Facebook
Marie-Josée Dumas a été trouvée coupable en lien avec un stratagème frauduleux visant à flouer une institution bancaire. Elle a été suspendue six ans en 2019. Elle tentait de réaliser un profit substantiel sur la vente de la maison de son fils, selon l’OACIQ.
Maxime Lequin a reçu une amende de 22 000 $ et des réprimandes, en plus de voir son permis suspendu 18 mois en 2020. On lui reproche de nombreux manquements, dont des promesses d’achat « ne reflétant pas la réalité ». Photo tirée de Facebook
Irinia Dondikova a reçu une amende de 3000 $ et son permis a été suspendu 180 jours en 2021. Elle a permis, entre autres, qu’une personne signe à la place du vendeur dans une promesse d’achat. Photo tirée de LinkedIn
Bibiane Fortin a notamment déclaré faillite afin d’éluder ses obligations fiscales et fait de fausses déclarations à l’OACIQ. Elle a reçu une amende de 6000 $ et vu son permis suspendu 24 mois en 2021.
Sylvain Clermont a reçu des amendes de 12 000 $ et été suspendu 60 jours en 2021. Il a omis de remplir une promesse d’achat que voulait présenter un acheteur et a fourni des informations inexactes. Photo tirée de Proprio Direct
Alessandro Monteferrante a été suspendu 135 jours en 2021 en lien avec de fausses déclarations et un refus de fournir des documents. Il a fermé l’agence qu’il dirigeait alors que celleci devait des sommes au gouvernement. Photo tirée de Facebook
Denis Paradis a vu son permis révoqué en 2021. Il s’est placé en conflit d’intérêts et s’est approprié des sommes. Entre autres, il n’a pas remboursé 300 000 $ que lui avait prêtés un client. Selon une procureure, c’est un menteur invétéré. Photo tirée de Twitter
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