Hells Angels: la conjointe du délateur Stéphane Gagné était la «pièce maîtresse» de la stratégie policière qui a fait tomber Maurice «Mom» Boucher
Les détails de cette saga judiciaire qui a captivé le Québec font l’objet du nouveau livre de notre Bureau d’enquête
Eric Thibault, Jean-Louis Fortin et Félix Séguin
25 ans avant Frédérick Silva, qui aide présentement la police à résoudre une soixantaine de complot de meurtres, la justice québécoise a eu recours à un autre célèbre délateur. Au tournant des années 2000, Stéphane «Godasse» Gagné a permis de mettre hors d’état de nuire le chef des Nomads Maurice «Mom» Boucher, au terme de deux procès spectaculaires. Notre Bureau d’enquête dévoile des détails inédits de cette saga dans un nouveau livre, Godasse, le vrai visage d’un tueur des Hells, en librairies dès maintenant.
Une étudiante de 21 ans a bien malgré elle joué un rôle clé dans la stratégie des policiers visant à écrouer le Hells Angels le plus dangereux au Québec et à mettre fin à une guerre des motards sanglante qui a fait 160 morts.
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C’est l’un des faits inédits révélés dans le livre Godasse, le vrai visage d’un tueur des Hells, de notre Bureau d’enquête, en librairie depuis mercredi.

Marie-Claude Nantais était la conjointe du motard Stéphane Gagné quand ce dernier s’est fait passer les menottes, le 5 décembre 1997.
Mais si l’escouade Carcajou espérait convaincre Gagné de devenir délateur, il fallait aussi amadouer la jeune mère de son petit garçon, qu’il fréquentait depuis trois ans.
Mission spéciale
Ce soir-là, les policiers ont non seulement épinglé Gagné en face de la résidence de sa belle-mère, mais ils ont aussi arrêté sa conjointe pour complicité afin de pouvoir lui parler.
Surnommé «Godasse» à cause de ses grands pieds, Gagné occupait le rang de striker dans le plus violent des clubs-écoles des Hells à cette époque, les Rockers de Montréal.
La veille, un complice l’avait dénoncé aux autorités pour avoir participé aux meurtres des agents correctionnels Diane Lavigne et Pierre Rondeau, tués par balle cette année-là, et tenté d’assassiner un trafiquant.

Pour les forces de l’ordre, seul Maurice «Mom» Boucher, numéro un des Hells Angels et chef du chapitre Nomads, avait pu ordonner les meurtres des gardiens pour attaquer le système judiciaire qui leur mettait alors une forte pression.
L’enquêteur René Lavigne s’est donc vu confier la mission spéciale de «préparer» Marie-Claude Nantais à encourager Gagné pour qu’il retourne sa veste et à l’appuyer.
«Veux-tu un mari ou un souvenir?»
À 3h05, Lavigne et la jeune femme aux cheveux blonds et frisés se sont retrouvés face à face au quartier général de la SQ à Montréal.
Pendant ce temps, Gagné se trouvait dans une salle d’interrogatoire du même édifice, questionné par l’enquêteur Robert Pigeon.

«C’était un risque à prendre», a relaté M. Pigeon, ajoutant que les enquêteurs pouvaient aussi de tout perdre avec un tel pari dans une entrevue qui sera diffusée à l’émission J.E ce vendredi.
D’ailleurs, au départ, c’est Gagné qui se montrait le plus bavard dans le couple.
Mme Nantais gardait obstinément le silence en fixant Lavigne du regard, tandis qu’il lui expliquait que la vie de son conjoint ne valait plus rien aux yeux des Hells.
–Veux-tu un mari ou un souvenir? lui a-t-il demandé.
–Je dois t’exaspérer, lui a-t-elle lancé pour briser le silence.
Mais l’enquêteur Lavigne est finalement parvenu à percer sa carapace.
17 minutes décisives
Puis, le matin venu, Gagné a formulé la requête que l’enquêteur Pigeon attendait.
«J’aimerais ça voir ma femme pour savoir ce qu’elle pense de ça si je deviens délateur», lui a-t-il demandé.
À 7h15, les policiers ont laissé Gagné et sa conjointe seuls dans une pièce pendant 17 minutes sans épier leur conversation.
«Je lui ai dit que, peu importe ce qu’il décidait de faire, je serais là pour lui», a ensuite admis à Lavigne celle qui n’a jamais été accusée dans cette affaire.
À 8h09, «Godasse», fort de l’appui de sa conjointe, commençait à déballer son sac sur ses méfaits et à incriminer Boucher.

«Ç’a été une pièce maîtresse de la réussite de l’interrogatoire», estime Robert Pigeon.
Le couple n’a toutefois pas survécu à l’incarcération du délateur. En janvier 2000, Gagné annonçait aux autorités que Mme Nantais et lui avaient rompu.